Abdallah le cruel
des Berbères puissent exercer la charge de juge. Quant
au wali, il mérite d’être destitué pour s’être rendu chez Mohammad Ibn Ghalib.
Le hadjib interrompit l’émir :
— Je connais assez bien cet
homme pour deviner qu’il a voulu nous indiquer ainsi le véritable responsable
de ces troubles. Ce muwallad a profité de notre faiblesse pour acquérir un
pouvoir redoutable. Il suffit de le réduire au silence pour que tout redevienne
comme avant.
— J’entends bien, dit Abdallah.
Mais comment procéder ? Il pense agir en mon nom.
— Nous n’avons qu’à mettre à
l’épreuve sa loyauté, suggéra Abd al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya. J’ai
l’homme qu’il nous faut. Djad Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi est enfin libre. Sa
famille a accepté de payer l’énorme rançon qu’exigeait Omar Ibn Hafsun.
Envoyons-le avec des troupes assiéger Abdallah Ibn Hadjdjadj à Karmuna et
demandons à Mohammad Ibn Ghalib de l’y rejoindre. Il ne se méfiera pas car Djad
est le frère du wali. Comme tu le sais, noble seigneur, un accident est vite
arrivé. Durant un assaut, ce muwallad peut être tué d’une flèche
malencontreusement partie de nos rangs.
L’émir suivit ce conseil. Mohammad
Ibn Ghalib rejoignit Djad Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi sous les murs de
Karmuna. Jaloux de leurs prérogatives respectives, les deux hommes ne tardèrent
pas à se quereller. Un soir, le muwallad s’emporta violemment contre son
supérieur qu’il accusa de lâcheté et alla même jusqu’à le menacer de son épée.
Djad le fit arrêter sur-le-champ, condamner à mort pour insubordination et
exécuter. Les officiers de Mohammad Ibn Ghalib, sachant que le général était
dans son droit, n’osèrent pas protester. Dès qu’il apprit la mort de son
adversaire, Abdallah Ibn Hadjdjadj envoya des émissaires au représentant de
l’émir pour faire sa soumission et, ayant obtenu des lettres de pardon, évacua
Karmuna.
À Ishbiliyah, l’annonce de la fin
tragique de Mohammad Ibn Ghalib provoqua la colère des muwalladun. Leurs chefs
se rendirent chez le prince héritier pour protester. Certes, leur
coreligionnaire avait manqué de respect à un représentant du souverain et
devait pour cela être traduit en justice. Mais le pardon accordé à Abdallah Ibn
Hadjdjadj, qui avait défié le monarque, constituait à leurs yeux un affront. Il
y avait bien deux justices, l’une pour les Arabes, l’autre pour les muwalladun.
Mohammad tenta de les apaiser. En fait, le fils du souverain était lui-même
très inquiet : il avait appris que des attroupements se formaient en ville
et que, dans certains quartiers, les muwalladun attaquaient les passants arabes
et les égorgeaient. Il lui fallait gagner du temps et attendre l’arrivée des
renforts commandés par Djad auquel il avait dépêché plusieurs messagers, le
suppliant de venir à son secours.
Le 9 djoumada 1 er [80] , une
estafette le prévint de la présence de l’armée à une journée de marche de la
ville. Dans les rues, l’atmosphère était tendue. Les Chrétiens et les Juifs
s’étaient enfermés chez eux et avaient recruté à prix d’or des guerriers
berbères pour garder l’entrée de leurs quartiers. En milieu de journée, des
centaines de muwalladun se rassemblèrent devant le palais du gouverneur,
poussant des cris hostiles. Ils étaient armés d’épées, de haches, de gourdins
ou de pieux et certains brandissaient des torches, menaçant de mettre le feu à
l’édifice. Umaiya Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi fit donner la garde pour
disperser les émeutiers. Il prit la tête des opérations, payant bravement de sa
personne. Avec son épée franque, il tranchait têtes et bras, poussant des cris
rauques pour effrayer ses adversaires. En moins d’une heure, il parvint à
rétablir le calme et ordonna qu’on enterre les victimes, au nombre d’environ
deux cents, dans une fosse commune. Il se doutait que leurs familles, craignant
des représailles, ne chercheraient pas à récupérer les corps. Des crieurs
publics parcoururent la ville, annonçant que tout rassemblement était interdit
et serait dispersé par la force. Les mosquées restèrent fermées et les fidèles
furent invités à prier chez eux.
Le lendemain, Djad Ibn Abd al-Ghafir
al-Khalidi fit son entrée dans Ishbiliyah et déploya ses hommes aux principaux
points de la cité. Les Arabes lui réservèrent un accueil enthousiaste et
certains en profitèrent pour attaquer les maisons et les
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