Abdallah le cruel
doutais. Pendant mon
voyage, j’ai tout de suite remarqué que des hommes surveillaient le moindre de
mes gestes. Je dois avouer qu’ils auraient gagné à se montrer plus discrets.
Inquiets, mes propres gardes ont bien failli les tuer.
— Laissons ces enfantillages.
Quel est le but de ta visite ?
— Omar Ibn Hafsun te salue et
te présente ses respects. Il te remercie de ce que ton fils a fait pour tenter
de sauver nos malheureux frères d’Ishbiliyah et il entend te manifester sa
gratitude.
— De quelle manière ?
— Noble seigneur, nous savons
de source sûre qu’Abdallah Ibn Hadjdjadj entretient d’étroits rapports avec
Saïd Ibn Walid Ibn Mustana qui occupe la forteresse de Kala’t Yahsib [81] .
— Voilà qui m’étonne. C’est un
muwallad comme toi et Abdallah Ibn Hadjdjadj ne vous aime guère.
— Sauf lorsqu’il a besoin de
l’un d’entre nous. Il a utilisé Ibn Mustana pour se débarrasser de ton général.
Il lui a fait croire que Djad ramenait à Kurtuba le montant des impôts
collectés par ton fils. Cet imbécile l’a cru et a accompli cet horrible
forfait. Djad avait été le prisonnier de mon père et celui-ci, qui l’estimait,
veut le venger et considérerait comme un honneur que tu lui permettes de tuer
ce chien de Saïd !
— Cette nouvelle me réjouit.
L’un de mes généraux, Ibrahim Ibn Khemis, partira avec toi et j’attends avec
impatience que vous me rameniez la tête de ce misérable rebelle.
L’émir s’empressa d’écrire à Umaiya
Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi une longue lettre dans laquelle il lui faisait
part des informations transmises par Djaffar Ibn Hafsun qui corroboraient les
soupçons du wali. Aussi ne fut-il pas surpris d’apprendre, quelques semaines
plus tard, qu’Abdallah Ibn Hadjdjadj avait été assassiné alors qu’il chassait
dans les environs d’Ishbiliyah. Abdallah se félicita. Il avait éliminé l’un de
ses adversaires, le tour des autres ne tarderait pas à venir. Il éprouva
toutefois une amère déception. Omar Ibn Hafsun s’était joué de lui. Il était
certes parti en campagne contre Ibn Mustana avec le général Ibrahim Ibn Khemis
mais les deux hommes ne s’étaient pas entendus. Le rebelle muwallad n’aimait
pas qu’on lui donne des ordres et le vieux militaire ne cherchait pas à cacher
qu’en d’autres circonstances, il aurait volontiers pendu haut et court son
allié du moment. Les relations des deux hommes s’envenimèrent à tel point
qu’Omar Ibn Hafsun se réconcilia avec Ibn Mustana, fit prisonnier Ibrahim Ibn
Khemis et incorpora ses soldats dans son armée.
À Ishbiliyah, la situation
continuait à se dégrader. Depuis l’assassinat d’Abdallah Ibn Hadjdjadj, Umaiya
Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi vivait quasi reclus dans son palais. Il
s’attendait à des représailles de famille du défunt et, par précaution, avait
exigé que les Banu Khaldun et les Banu Hadjdjadj lui livrent des otages.
Ceux-ci avaient accepté de fort mauvaise grâce et les gardes avaient dû forcer
les portes de leurs demeures pour s’emparer des personnes désignées. Ces
« captifs » n’étaient pas maltraités, loin de là. Ils pouvaient
circuler librement dans l’enceinte de la forteresse et recevoir des visites
mais étaient étroitement surveillés ; plusieurs fois par nuit, les gardes
pénétraient dans leurs appartements pour s’assurer de leur présence.
Rapidement, les parents des otages cherchèrent à corrompre les familles des
gardes avec de très grosses sommes d’argent. Il était difficile de résister à
la tentation, car les soldes des militaires n’avaient pas été versées depuis
des mois.
Un matin, on prévint le wali que les
prisonniers avaient pris la fuite et que la garnison s’était mutinée. Il
pressentait la suite des événements. Il ordonna au prince héritier de se mettre
en sécurité chez l’évêque de la ville – personne n’irait le chercher
là-bas –, puis il fit égorger ses concubines, tuer ses précieux destriers
et brûler tous ses objets de valeur. Il ne voulait rien laisser à ses
assassins. Au début de l’après-midi, il quitta sa résidence à la tête d’une
poignée de fidèles et se jeta contre les émeutiers. Il se battit avec courage
jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Sachant que les habitants
d’Ishbiliyah risquaient de payer cher cette révolte, Ibrahim Ibn Hadjdjadj se
rendit en personne à Kurtuba pour s’expliquer. Le souverain le fit
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