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Abdallah le cruel

Abdallah le cruel

Titel: Abdallah le cruel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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complices. Sans doute était-ce d’ailleurs pour cette
raison que le Berbère, contrairement aux autres, manifestait une certaine
prévenance à son égard lorsqu’ils se trouvaient en tête à tête. Car il
suffisait qu’un autre geôlier soit présent pour qu’aussitôt il modèle son
comportement sur le sien.
    Grâce à son « complice »,
Mohammad apprit qu’à Kurtuba, les avis étaient partagés sur son sort. Les
muwalladun, les Chrétiens et les Juifs déploraient sincèrement son arrestation
et y voyaient une menace pour leur propre sécurité. Les plus courageux
affirmaient que le prince payait sa modération. Selon eux, les Banu Khaldun et
les Banu Hadjdjadj avaient exigé de l’émir la mise à l’écart de son fils pour
prix de leur soumission. Certains allaient jusqu’à colporter la fable selon
laquelle, durant son séjour chez l’évêque d’Ishbiliyah, le prince héritier
avait été secrètement touché par la grâce et avait abjuré sa foi. La crainte
d’un scandale sans précédent éclaboussant la famille régnante expliquait donc
son emprisonnement. Pour rien au monde, Abdallah ne pouvait se permettre que son
aîné profane en public le nom du Prophète. Le laisser en liberté était
extrêmement risqué, le faire exécuter aurait confirmé cette rumeur. D’où le
compromis adopté par l’émir qui, selon les tenants de cette thèse, se rendait
quotidiennement à la prison avec des foqahas et des cadis dans l’espoir de
ramener l’apostat à la raison. Mohammad avait été profondément blessé par ces
racontars. Il était bon musulman, n’omettait aucune des cinq prières
journalières et avait vigoureusement protesté quand le gouverneur du Dar
al-Bagiya lui avait refusé l’autorisation de disposer d’un exemplaire du Coran
sous prétexte qu’il pourrait l’utiliser pour correspondre avec l’extérieur. Il
avait eu beau le supplier, l’homme était resté inflexible, le menaçant même de
le priver de nourriture s’il continuait à s’agiter.
    Contrairement aux muwalladun et aux
dhimmis, les Arabes et les Berbères étaient partagés sur l’attitude à adopter
envers le prince héritier. Abdallah, tous en convenaient, était un souverain
cruel et sans scrupule, prêt aux pires bassesses pour parvenir à ses fins. Il
avait fait assassiner son frère Mundhir pour monter sur le trône, tuer l’un de
ses fils ne le gênerait guère. Cependant, les principaux dignitaires du palais
étaient convaincus – ou faisaient semblant de l’être – de la
culpabilité de Mohammad et toisaient d’un air menaçant ceux qui osaient
s’ouvrir à eux de leurs doutes. Quelques-uns de ces courtisans courageux
avaient d’ailleurs été arrêtés et nul n’avait plus jamais eu de leurs
nouvelles. Les Muets patrouillaient sans relâche en ville et, à leur passage,
les conversations s’interrompaient. Dans les tavernes, où se réunissaient les
amateurs d’échecs, les habitués, autrefois volubiles, se montraient
particulièrement circonspects. Ils se méfiaient de leurs propres amis et quand
l’un d’entre eux venait à évoquer l’emprisonnement de Mohammad, un silence gêné
accueillait ses propos.
    Ses informateurs n’avaient pas caché
au hadjib le malaise du peuple. Beaucoup s’étonnaient que l’Umm Wallad Durr, la
mère du prince, ne soit pas affectée par l’arrestation de son fils. Abdallah ne
l’avait point éloignée du palais et elle avait conservé une grande autorité sur
les autres concubines. Quant à la femme du prisonnier, elle était enceinte et
les médecins se pressaient à son chevet, ne lui ménageant pas les marques de
respect. L’émir en personne lui avait rendu visite et avait plaisanté avec
elle, lui offrant de surcroît de somptueux présents. Certains en avaient
prudemment conclu que la disgrâce de Mohammad était provisoire. Dans leurs
prêches à la mosquée, les cadis et les foqahas vantaient de manière outrancière
les vertus du monarque et prônaient l’obéissance à ses ordres. Inutile de les
interroger à propos de l’affaire qui divisait la cité : ils tenaient trop
à leurs pensions et à leurs privilèges pour exprimer une opinion, positive ou
négative.
    Fort de ces informations distillées
petit à petit par Youssouf Ibn Tarik, Mohammad avait repris espoir. Persuadé
d’être la victime d’un malentendu ou de calomniateurs acharnés à le perdre, il
avait exigé d’être confronté à son père, arguant de ses

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