Abdallah le cruel
porterais
contre lui de graves accusations, le prince a jugé plus sage de ne pas assister
à nos délibérations. Tu as affaire ici à des hommes probes qui sont prêts à
écouter tes explications. Je te préviens que nous ne tolérerons pas que tu
mettes en doute notre intégrité. Tout refus de répondre à nos questions sera
considéré comme un aveu de ta culpabilité.
— Ai-je le droit de faire citer
des témoins ?
— Je doute fort que tes
complices viennent d’eux-mêmes se dénoncer. Cela dit, livre-nous leurs noms. Ce
serait un geste de bonne volonté de ta part dont nous tiendrions compte.
— Que sont devenus mes
serviteurs ?
— Ceux qui ont été arrêtés ont
reconnu leurs crimes et ont été exécutés.
— Mutarrif a préféré faire
taire des hommes qui connaissaient la vérité. J’imagine la manière dont on leur
a extorqué des aveux sans valeur pour moi.
Abd al-Aziz Ibn Omar Ibn Djaffar fit
signe à un greffier. Celui-ci déposa devant lui une masse impressionnante de
lettres. D’un ton narquois, le chef des juges dit à l’accusé :
— Voici toute la correspondance
entretenue entre le wali d’Ishbiliyah et Omar Ibn Hafsun. Il est peut-être
inutile de t’en infliger la lecture.
— J’ignore tout de ces
messages. Si tu étais bien informé, tu saurais que j’ai eu de nombreux
désaccords avec Umaiya Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi. J’ai désavoué à plusieurs
reprises ses intrigues et ses manœuvres. Tout cela était de notoriété publique.
Fais plutôt venir les Banu Khaldun et les Banu Hadjdjadj s’expliquer sur leurs
agissements. J’aurais bien des questions à leur poser.
— Le prince Hisham les a
interrogés et, le moment venu, tu pourras prendre connaissance de leurs
dépositions.
— À quoi bon ? Ce sont des
hypocrites et des menteurs.
— Je comprends que tu récuses
leurs dires car ils ont porté contre toi de terribles accusations. Pourtant tu
ne peux nier l’évidence. Parmi toutes ces lettres, se trouvent deux longues
missives que tu as écrites à Omar Ibn Hafsun, dans lesquelles tu lui expliques
en détail tes plans pour t’emparer de la personne sacrée de l’émir et obtenir
que les foqahas prononcent sa déposition.
— Montre-moi ces fameux
documents.
— En principe, je n’y suis pas
autorisé.
— Aurais-tu peur que je les
détruise ? Ce serait signer ma condamnation. Penses-tu que je sois assez
stupide pour agir de la sorte ?
Après avoir discuté avec les autres
juges, Abd al-Aziz Ibn Omar Ibn Djaffar accepta qu’on remette à Mohammad les
lettres. Deux gardes se tinrent à ses côtés pendant qu’il lisait attentivement
ces textes. Quand il eut terminé, il éclata de rire :
— J’ai mis en doute votre
intégrité et vous prie de me pardonner. C’est plutôt votre ignorance qu’il faut
incriminer.
— Prends garde à tes propos.
— Tu ne me fais plus peur,
rétorqua le prince héritier. Au début, j’ai été troublé. C’était bien mon
écriture et je dois dire que le faussaire qui a forgé ces textes est un artiste
hors pair. Vous le féliciterez pour moi si vous parvenez à le retrouver. Car il
a dû prendre la fuite ou ne tardera pas à le faire dès que vous le convoquerez.
Oui, je dois le reconnaître, il a fait un excellent travail.
— Tu reconnais ton écriture.
C’est bien la preuve que tu es l’auteur de ces lettres !
— Tu ne m’as pas compris. Ces
lettres sont des faux et j’ai un moyen imparable de le démontrer.
— Lequel ? Nous les avons
lues et relues et elles confortent les accusations portées contre toi.
— À un détail près.
— Que veux-tu dire ?
— Dans les deux lettres, je
suis supposé écrire à Omar Ibn Hafsun. Je lis que je l’avertis que ma tante
Durr a soudoyé le chef des Muets et que ses soldats m’ont d’ores et déjà prêté
serment d’allégeance. Comment aurais-je pu affirmer telle stupidité ? Le
plus misérable portefaix de Kurtuba sait que la princesse est ma mère et
l’épouse de l’émir Abdallah, non ma tante.
Les juges examinèrent attentivement
les deux pièces à conviction et ne cachèrent pas leur embarras. Après s’être
longuement concertés, ils décidèrent d’interrompre l’interrogatoire. Mohammad
remarqua qu’ils avaient changé d’attitude à son égard. Ils s’adressèrent à lui
avec une certaine déférence et ordonnèrent aux gardes de le ramener non dans
son cachot mais dans les appartements privés du
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