Abdallah le cruel
gouverneur de la prison.
Celui-ci eut beau protester que c’était contraire aux consignes données par le
prince Mutarrif, ils lui firent savoir qu’ils prenaient sur eux cette
responsabilité et qu’il aurait à répondre de l’exécution de cet ordre.
Abd al-Aziz Ibn Omar Ibn Djaffar se
rendit immédiatement auprès du hadjib et exigea d’être reçu par l’émir pour une
affaire de la plus haute importance dont il ne voulait rien dire pour le moment
en dehors de la présence d’Abdallah. Le maire du palais tenta en vain de lui
tirer les vers du nez. Prévenu, le souverain interrompit sa partie d’échecs et
reçut le fonctionnaire.
— De quel droit oses-tu
troubler ma quiétude ?
— Noble seigneur, je suis
chargé d’instruire le procès de ton fils.
— Je le sais. A-t-il reconnu
ses fautes ? T’a-t-il chargé de me demander humblement pardon de ses
crimes ?
— Non.
— Pourquoi alors me
déranger ?
— Parce que nous avons acquis
la certitude qu’il est la victime d’une horrible machination. Il doit être
libéré immédiatement. Il y va de ta vie et de ta sécurité.
Abd al-Aziz Ibn Omar Ibn Djaffar
expliqua au monarque comment lui et ses collègues avaient découvert la
supercherie. Leur conversation fut interrompue par l’arrivée d’un eunuque. Tout
joyeux, l’esclave expliqua que l’épouse de Mohammad avait donné naissance à un
enfant mâle et s’enquit du prénom que le monarque voulait lui voir
porter :
— Qu’il soit appelé Abd
al-Rahman comme le fondateur de notre dynastie ! Que la nouvelle soit
annoncée dans tout Kurtuba et qu’on distribue aux pauvres argent et nourriture.
Se tournant vers le juge, Abdallah
lui dit :
— Je te remercie de tes
informations. Garde le secret le plus absolu à ce propos jusqu’à ce que je te
fasse appeler à nouveau.
L’émir eut ensuite un entretien
orageux avec le prince Mutarrif que ses gardes étaient allés chercher dans son
palais. Pressé de questions, son fils cadet finit par reconnaître qu’il avait
ourdi contre son aîné un complot destiné à provoquer sa perte. Il le haïssait
et n’avait jamais accepté l’idée qu’il serait un jour appelé à régner. Son père
lui ordonna de se rendre immédiatement à al-Rusafa et de ne pas en bouger. Par
la suite, il lui fut signifié qu’il n’avait pas le droit de communiquer avec
l’extérieur. Pour expliquer son absence, le hadjib fit savoir que Mutarrif
était atteint d’un accès de fièvre maligne et que l’on craignait pour sa vie.
Dès que la nouvelle se répandit en ville, les foqahas, soucieux d’étaler leur
zèle, recommandèrent que des prières publiques soient dites pour le
rétablissement du prince. Ils déchantèrent. Rares furent les fidèles à se
presser dans les mosquées, ce qui en disait long sur l’impopularité de
Mutarrif.
Pendant plusieurs jours, l’émir
resta cloîtré dans ses appartements, refusant de recevoir qui que ce soit. Il
écumait littéralement de rage. Lui, qui avait la réputation d’être le souverain
le plus rusé de tout le Dar el-Islam, était tombé dans un piège grossier. Il
était assez lucide pour savoir qu’il était le premier responsable de ce
désastre. Ses intrigues l’avaient perdu. Plutôt que d’attacher crédit aux mises
en garde prudentes de Mohammad, il avait préféré mener des tractations avec les
Banu Khaldun, les Banu Hadjdjadj, les Banu Angelino, les Banu Savarino et même
avec ce fieffé coquin d’Omar Ibn Hafsun. Surtout, il avait prêté une oreille
complaisante aux rumeurs colportées par Mutarrif sans prendre la peine de les
vérifier.
Il ne savait pas comment se tirer de
ce mauvais pas. Ses nuits étaient agitées. Il parvenait difficilement à trouver
le sommeil et, quand il réussissait à s’assoupir, d’atroces cauchemars le
torturaient. En apparence, il n’avait pas le choix. Il devait ordonner la
libération de Mohammad et l’arrestation de Mutarrif, coupable de faux
témoignage et de parjure. Il ne pouvait toutefois se résoudre à ce geste qui
constituait un cinglant démenti de sa conduite. Avec son fils aîné, la
réconciliation serait difficile pour ne pas dire impossible. Le prince héritier
avait été détenu dans des conditions indignes de son rang et aucune humiliation
ne lui avait été épargnée. Il ignorait même la naissance de son fils, Abdallah
ayant interdit qu’on lui communique cette nouvelle. Libéré, Mohammad
chercherait
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