Abdallah le cruel
comme des lapins pour se réfugier derrière les murs de
la forteresse, suivis rapidement par le reste des troupes du rebelle. À la
tombée de la nuit, des centaines de cadavres gisaient dans la plaine et les
gémissements des agonisants montaient vers le ciel.
Chez les vaincus, la discorde
régnait. Omar Ibn Hafsun tenta de rassurer les officiers, leur expliquant que
le château était quasi imprenable. De plus, l’émir ne disposait pas de machines
de siège et avait, lui aussi, perdu beaucoup d’hommes. Dès le lendemain,
affirma le chef muwallad, une sortie vigoureuse lui permettrait de briser son
encerclement. Sur ces mots, il alla se coucher. Profitant de l’obscurité, les
détachements d’Istidjdja, qui craignaient qu’Abdallah ne lève le camp pour
aller attaquer leur ville, s’enfuirent par une brèche ouverte dans le rempart
Nord. Au petit matin, le seigneur de Bobastro constata avec colère qu’il avait
été abandonné par la majorité de ses partisans et s’enfuit avec ses fidèles,
abandonnant les miliciens Chrétiens de Malaka. Ceux-ci envoyèrent des messagers
annoncer à l’émir qu’ils faisaient leur soumission.
Quand il pénétra dans la forteresse,
Abdallah contempla ces malheureux, au nombre d’un millier, qui se prosternèrent
devant lui, le suppliant de leur accorder son pardon. D’un geste de la main, il
les fit taire et, les toisant d’un air méprisant, lâcha ces simples mots :
— Vous êtes des chiens de
mécréants et vous avez eu l’audace de vous révolter contre moi, en dépit des
recommandations de vos chefs religieux. Ceux-ci vous ont déclarés hérétiques et
m’ont laissé libre de décider de votre sort. Vous n’avez aucune pitié à
attendre de moi. Vos femmes et vos enfants seront vendus comme esclaves et vos
biens confisqués. Quant à vous, vous ne méritez qu’un châtiment, la mort, à
moins que vous n’acceptiez de devenir Musulmans. Dans ce cas, vous serez
incorporés dans mon armée et les plus braves d’entre vous pourront racheter,
dans quelques années, leurs parents si ceux-ci sont encore en vie. Que ceux qui
acceptent d’entrer dans la communauté des croyants fassent un pas en avant.
Abdallah, habitué à la lâcheté des
membres de son entourage, fut impressionné par la fière détermination des
captifs qui entonnèrent un hymne religieux. Les gardes tentèrent de les faire
taire à coups de fouet mais le monarque leur ordonna d’arrêter. Si ces fous
voulaient mourir en chantant, c’était leur problème. Les bourreaux commencèrent
leur sinistre office. Les prisonniers marchaient au supplice en s’encourageant
les uns les autres. À chaque tête qui tombait, ils chantaient de plus belle.
Bientôt, ils ne furent plus qu’une poignée. L’un d’entre eux, un jeune homme,
se détacha de ses compagnons. L’air hagard, tremblant de peur, il supplia qu’on
l’épargne et accepta d’abjurer sa foi. Le cadi de l’armée lui fit réciter la
chahada, la profession de foi rituelle, et l’avertit qu’il devrait se faire
circoncire.
Quand la tête du dernier Chrétien
roula par terre, Abdallah fit signe à l’officier qui se tenait à ses côtés. Lui
montrant le converti qui devisait avec des soldats, il lui dit :
— Tue ce misérable.
— Noble seigneur, tu as
toi-même accordé la vie sauve à ceux qui accepteraient de devenir Musulmans.
— Dans ce cas, ce croyant sera
heureux de retrouver Allah plus tôt que prévu. Je hais les Chrétiens, mais je
déteste encore plus les renégats. Ses frères ont accepté de mourir pour leur
foi et je les tiens pour des braves. Crois-tu que ce chien serait prêt à se
sacrifier pour notre Dieu s’il était fait prisonnier par les Nazaréens ?
Il retournerait à ses abominables superstitions. Je préfère un bon Chrétien à
un mauvais Musulman. Fais ce que je t’ai ordonné.
L’officier se tourna vers le cadi,
pensant que ce dernier interviendrait en faveur du converti. Le dignitaire
religieux détourna la tête. Il n’y eut donc aucun survivant parmi les
prisonniers faits à Baliy.
Après cet échec cuisant, Omar Ibn
Hafsun se réfugia à Bobastro et reconstitua ses troupes en engageant de
nouvelles recrues, moins attirées par la perspective d’un riche butin que par
le prestige qu’il y avait à servir un tel chef de guerre. S’il ne pouvait
envisager de repartir en campagne, il était conscient que l’agitation endémique
qui régnait à Ishbiliyah empêchait
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