Abdallah le cruel
souviens
avec émotion de nos chevauchées d’antan contre ces chiens de Nazaréens. Nous
leur avons infligé défaite sur défaite. Nous avons tranché bien des têtes et
des bras pour la plus grande gloire d’Allah. Ces temps heureux sont de retour.
— Noble seigneur, s’exclama Abd
al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya, mon cœur tressaille de joie en constatant que
tu as repris courage.
— L’ai-je jamais perdu ?
— Je n’ose te répéter ce qui se
dit en ville.
— Tu le peux. J’ai des espions
moins hypocrites que mes courtisans. À leur attitude, j’ai compris que je
devais vous réconforter. Je suis plutôt lent à réagir car j’aime peser
longuement le pour et le contre avant de prendre une décision. Cette fois-ci,
c’est différent. La situation est grave, très grave, et l’avenir de la dynastie
est compromis. Si je ne parviens pas à arrêter Omar Ibn Hafsun, celui-ci
entrera dans Kurtuba dans moins d’une semaine.
Abdallah, sans consulter ses
généraux, avait écrit aux quelques gouverneurs dans lesquels il avait
entièrement confiance et leur avait ordonné de lever des contingents. Il savait
que, ce jour, quatre mille hommes arriveraient de province et se
rassembleraient à Shakunda, sur l’emplacement de l’ancien Faubourg rasé par son
arrière-grand-père. Quand les troupes approchèrent des portes de la cité, elles
furent accueillies par une foule en liesse. Le lendemain, conformément aux
engagements jadis pris par les notables de la capitale, dix mille volontaires
les rejoignirent.
Depuis son repaire de Baliy, Omar
Ibn Hafsun avait suivi avec intérêt l’évolution de la situation. Quand on lui
apprit que l’émir surveillait lui-même l’entraînement de ses hommes et les
faisait manœuvrer, il ne put s’empêcher de ricaner :
— Le vieil homme craint pour
son trône et il a bien raison. Ses efforts ne lui serviront à rien. Il est à la
tête d’incapables et de couards. Si je le voulais, je pourrais attaquer son
camp de nuit et y mettre le feu.
— Tu exagères, affirma l’un de
ses conseillers.
— C’est ce que nous verrons.
Le soir même, à la tête d’une
centaine de cavaliers, le chef muwallad franchit le fleuve à gué et surprit les
sentinelles endormies. Il sema la panique dans une partie du suralik [86] . Toutefois, l’alerte ayant été donnée, il dut batailler ferme pour parvenir à se
replier, en abandonnant la quasi-totalité de ses hommes. Au petit matin, quand
l’émir se réveilla, il eut la surprise d’entendre ses soldats entonner un chant
que l’un d’entre eux avait composé à la hâte :
Ibn Hafsun a cherché à s’enfuir
car l’épée le poursuivait. C’était par une nuit obscure qu’on aurait pu prendre
pour celle de l’ascension du Prophète. Cette guerre, que chaque année il sème,
vient de lui donner ce triste produit. Nos ennemis ont dû fuir. Demandez-leur
de qui ils sont les clients, la réponse sera que la nuit sombre les compte
parmi les siens.
L’armée quitta Kurtuba le 1 er safar 279 [87] et arriva dans la soirée à proximité de Baliy. L’émir envoya des émissaires à
Omar Ibn Hafsun et il fut décidé que la bataille aurait lieu le lendemain. Dès
les premières lueurs de l’aube, Abdallah s’installa sur une colline dominant la
plaine. Là, abrité des rayons du soleil par son parasol, insigne de son
pouvoir, il observa le déroulement de la rencontre dont il avait minutieusement
étudié le plan, pendant la nuit, avec ses généraux. Par ses espions, il savait
que son adversaire était à la tête de détachements disparates dont les chefs
s’étaient violemment querellés. Les muwalladun d’Istidjdja supportaient mal de
combattre aux côtés des miliciens Chrétiens de Malaka. Il suffisait donc
d’isoler l’un de ces contingents. Les autres ne viendraient pas à son secours
et il serait alors facile d’enfoncer le cœur du dispositif ennemi.
Désireux de s’attirer la faveur du
monarque, Abd al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya faillit compromettre par son
imprudence l’exécution de ce plan. Il se lança avec la cavalerie berbère contre
la garde personnelle d’Omar Ibn Hafsun. Celui-ci, qui se trouvait au milieu de
ses hommes, soutint fermement l’assaut et repoussa les soldats de l’émir. Fort
heureusement, l’un de ses généraux, à la tête de l’aile gauche cordouane,
enveloppa l’aile droite adverse. Pris de panique, les paysans qui la
composaient détalèrent
Weitere Kostenlose Bücher