Adieu Cayenne
fatigue ! Jean-Marie seul
s’arrête. Un point le transperce au côté. Il ne peut plus nager. Il
fait la planche, couché sur le flotteur. Je nage jusqu’au fort du
courant. Mais je suis maté. Il faut connaître ces barres de Guyane
pour me croire ! Près de nous, un barrage à poissons.
Hurrah ! nous allons donc retrouver des hommes.
Nous montons sur le barrage.
– Oôôôô ! Oôôôô !
Un canot apparaît avec deux noirs.
– Oôôô !
Il approche.
– Cinquante francs ! hurlent les
nègres.
Il y avait trente mètres jusqu’à la
terre ! Je proteste. Ils s’en vont ! Je les
rappelle !
Deux minutes après, nous touchons le sol.
Enfin nous trouvons à boire ! Et il y a
des pastèques ! Que c’est bon !
Devant l’argent, les noirs se découvrent des
âmes de sauveteurs. Ils vont chercher nos trois compagnons sur le
radeau.
Les voici. Ce qu’ils boivent, eux aussi !
Ils donnent cinq francs aux noirs, toute leur fortune. Les noirs se
fâchent, se tournent vers moi. Je refuse de payer.
Il y a là un vieux lépreux qui parle d’avertir
la police de Remire.
Mais on se divise pour filer tout de
suite : Menœil, Deverrer, Brinot d’un côté ; Jean-Marie
et moi de l’autre. On se retrouvera à la nuit, dans la forêt. Nous
savons où.
Nous sommes seuls au rendez-vous, le soir.
Menœil, Deverrer, Brinot se sont fait reprendre par des chasseurs
d’hommes, en longeant Remire, à quinze kilomètres de Cayenne…
Chapitre 9 DANS LA JUNGLE
– Dites donc, Dieudonné, après de telles
séances de vase, je ne comprends plus pourquoi vous avez fait tant
de bruit, hier, quand cette auto, rue Ouvidor, nous aspergea d’une
simple et misérable boue ?
– C’est sans doute que je redeviens civilisé.
Pourtant, je n’ai pas fini, dans mon histoire, de vivre comme une
bête. Je crois même que cela commence. Vous pouvez toujours faire
monter du vermouth, c’est bon contre la fièvre et nous avons encore
longtemps à causer. Nous voilà donc dans la forêt vierge.
– À quel endroit ?
– Du côté du dégrad des Canes, à vingt
kilomètres de Cayenne. D’abord nous dormons. Nous dormons toute la
nuit, tout le jour suivant, toute la deuxième nuit. On s’était fait
un lit de feuilles mortes. C’était du luxe. C’est aussi bon qu’un
matelas d’hôtel, vous savez !
– Alors, vous ne mangiez pas ?
– On se nourrissait. L’homme peut manger ce
que le singe mange. On les observait. Vous ne pouvez imaginer comme
c’est drôle de regarder vivre les singes ! Ainsi, ils
craignent l’eau. Savez-vous comment ils passent les criques ?
Le plus fort s’attache à une branche haute ; un autre se pend
après le premier, et tous se pendent à la suite, de manière à faire
juste la longueur de la crique, dix mètres, vingt mètres, cela
dépend. Jamais ils ne se trompent.
Quand ils sont le nombre qu’il faut, ils se
mettent à se balancer, le singe de queue attrape une branche de
l’autre côté de la crique. Le pont suspendu est établi. Toute la
tribu le traverse, dos en bas. Quand elle a passé, le singe de
tête, celui qui soutenait la guirlande, lâche tout. Et le
« pont » ainsi détaché franchit l’eau redoutée.
Mais nous n’étions pas ici pour regarder jouer
les singes. Le matin du second jour, nous décidons d’agir.
Jean-Marie connaît la région. Il a travaillé
sur la route. Il part à la recherche d’êtres humains.
Moi, je reste au point. Je fais bien remarquer
à Jean-Marie que ce point est nord.
– Vous aviez une boussole ?
– Pas besoin ! La mousse vous guide en
forêt. Direction nord : mousse sur les troncs ;
rien : direction sud.
Je reste seul. Je ne perds pas mon temps,
j’organise un petit buffet froid.
Ce que les singes jettent, à moitié mangé je
le ramasse. N’oubliez pas que le singe est gaspilleur. Ce sont des
fruits sauvages, des feuilles, des racines. C’est assez bon !
Si Jean-Marie ne trouve pas de secours, on ne mourra pas de
faim.
– Et de soif ?
– Nous sommes près d’une crique. À la nuit,
j’entends qu’on froisse les feuilles.
DEUX JOLIS COCOS
C’est Jean-Marie.
Il revient flanqué de deux jolis cocos,
Jean-Marie me fait un signe qui veut dire : je n’ai pas trouvé
mieux. Chacun porte une musette pleine de choses à manger.
L’un est Robichon, dit Pirate, ravitailleur
d’évadés, ancien maître de danse à Toulouse. L’autre s’appelle
Biaise, dit Jambe de Laine, trimardeur de
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