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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Londres
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nous.
    Nous franchissons la barre. C’est la pleine
mer. La pluie tombe. Le vent enfle. Jean-Marie, debout à côté de la
voile, ne garde l’équilibre que par miracle. Nous ne pagayons plus,
nous vidons la pirogue. Elle offre maintenant le flanc à la
lame.
    – Barre à gauche, Acoupa !
    – Elle n’obéit plus, hurle le nègre dans le
vent.
    Jean-Marie n’arrive pas à rouler la voile. Une
lame emplit l’embarcation. « Videz ! Asseyez-vous, n’ayez
pas peur», hurlé-je à tous. Venet et Deverrer, les deux jeunes,
crient à la mort, debout. Une autre lame, puis une autre encore.
Nous sombrons.

Chapitre 7 L’ENLISEMENT DE VENET
     
    Et Dieudonné continua.
    – Il faisait terriblement noir…
    – Vous avez l’air un peu fatigué. Si l’on
buvait un petit coup de vermouth français ?
    – Ça me remue, de revivre ce drame. Tenez,
j’entends encore les cris d’effroi de Venet et de Deverrer qui ne
savaient pas nager.
    Donc, nous sombrons.
    – Quelle heure était-il ?
    – Autour de neuf heures du soir.
    Moi, je sens qu’un drap m’enroule. Je donne
des jambes et des bras ; je suis empêtré dans la voile. Sa
corde, comme pour me pendre, traîne à mon cou. Je veux me dégager,
deux mains m’agrippent.
    – Qui était-ce ?
    – Je ne sais pas !… et me paralysent. Je
me libère. Je remonte à la surface de l’eau, j’essuie mes yeux et
je vois. Un quart de lune éclairait tout. C’était une scène
farouche. Des hommes enlevés par une lame semblaient bondir de la
mer. Trois autres, hurlant, se cramponnaient à la pirogue
retournée. Ils cherchaient à la tenir à pleins bras, mais ils ne
pouvaient pas. Les épaves : des petites boîtes nous servant de
malles et où était toute notre fortune dansaient une gigue
diabolique sur la crête des vagues. Et le grondement dramatique de
l’océan ! Je me souviens que ma malle passa à ma portée ;
je la saisis comme un avare. C’est curieux, l’instinct de
propriété, n’est-ce pas ? Je la mis sous un bras. Je nageai
d’un seul. Je vis Jean-Marie qui soutenait Venet, et Menœil, avec
son œil et ses cinquante-six ans, qui entraînait le gosse
Deverrer.
    – Vous étiez à combien de la côte ?
    – On distinguait les palétuviers très loin,
très loin. Je continue ma nage dans le chemin de lune. Ma petite
malle raclait le fond. Elle était pleine d’eau ; je
l’abandonnai.
    Je lève les bras. Je hurle pour rallier les
naufragés : « Oôôôô ! Oôôôô ! » J’entends,
de divers points de l’océan, d’autres « Oôôôô !
Oôôôô ! »
    Tout à coup, mon pied touche le plancher.
C’est la vase. Je me souviens de la leçon de marche. Accroupi, je
trotte sur les coudes et sur les genoux pour éviter d’enfoncer,
car, si loin de la côte, la vase est molle.
    J’avance, essoufflé comme un pauvre chien
après une course.
    – Oôôôô ! Oôôôô !
    On me répond : « Oôôôô !
Oôôôô ! » Une ombre passe près de moi et me
dépasse : Acoupa.
    – Où sont les autres ?
    – Derrière.
    – Personne ne manque ?
    – Là, tous !
    En effet, trottant comme nous, sur la vase
molle, voici Brinot, Deverrer, Menœil.
    – Courage, Gégène ! me crie Menœil, t’en
fais pas pour si peu !
    Il avait du cœur au ventre, le vieux,
hein ?
    Jean-Marie est derrière. Venet suit, mais
lentement.
    – Avance ! lui criai-je. Aie pas
peur ! Bientôt je les perds de vue. Il ne peut être question
de porter un homme, ce serait l’enlisement pour tous deux.
    Ces cochons de palétuviers étaient de plus en
plus loin. C’était à s’imaginer que l’administration pénitentiaire
les tirait à elle pour nous faire souffrir un coup de plus. Une
vieille lymphangite coupait mes forces. J’étais à bout.
    Je m’accroupis et je m’assieds tout doucement.
J’enfonce, mais à peine. Et je me repose là, sous la lune, mes
mains tenant mes genoux comme dans un bain de siège.
    Jean-Marie me rejoint, m’encourage.
    – Va, patron ! me crie-t-il. Fais dix
mètres et repose-toi. Respire fort. Fais encore dix mètres. Les
voilà, les palétuviers !
    Ils étaient loin encore !
    On y arrive une heure et demie après. Moi, je
suis à bout de mon effort. Jean Marie me hisse sur des branches. Il
fait froid, froid.
    De plus, il pleut, la lune se cache.
    – Oôôôô ! Oôôôô !
    Cette fois, la réponse est faible.
    Nous nous endormons. Le froid, la pluie, la
faim, le vent nous réveillent. La pluie cesse, les

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