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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Londres
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entrons dans une crique. Il me soutient.
Nous en sortons. Nous voilà devant le Mahury, c’est marée basse. La
vase ! Toujours elle ! Au moins cinq mètres de vase avant
d’atteindre le fleuve.
    On cherche à faire un radeau, et voilà qu’on
en trouve un. Où sont ceux qui l’ont abandonné là ? Nous le
hissons sur la vase.
    Mais l’entrain n’y est plus. Nous sommes
épuisés. Soif, surtout ! Soif !
    – Y a de l’eau, de l’autre côté, dit
Menœil ! Y a de la vie !
    – Vôôô ! Vôôô ! Vôôô !
    – Que dites-vous ?
    – C’est le cri que nous poussions en chassant
le radeau. Il me revient, je ne sais pourquoi. Pendant des heures,
nous travaillons. Tout pour un verre d’eau, vous entendez,
tout ! C’est la nuit de nouveau. Une lumière apparaît :
la lanterne du dégrad des Canes. La voilà encore,
celle-là !
    Nous montons sur le radeau et ne bougeons
plus.
    Acoupa se met soudain à crier :
« Ô ! du canot ! Ô ! mouché du canot. »
Mots créoles, appel aux noirs des parages.
    Personne ne répond.
    Alors, je rassemble mes forces, je me jette
dans le fleuve. J’irai à terre chercher du secours, puisqu’il y en
a. Je nage. À cent mètres de la côte, je n’avance plus. Toujours
cette sacrée barre ! J’essaie de la prendre de biais, puis de
tous les côtés. Pas moyen. J’ai la sensation que je vais couler. Je
reviens vers l’endroit où j’avais laissé le radeau.
    Il n’y est plus !
    Je cherche. Je nage mollement. Je fais la
planche, les vagues me retournent. Je coule. Je n’ai plus la force
de lutter, mes membres sont raides. Alors, volontairement, je ne
lutte plus.
    Je lève les bras, je bois tant que je peux
pour abréger le supplice. Mes oreilles bourdonnent. Adieu, la
Belle ! Et j’oublie tout.
    Tout à coup, je sens l’air vif sur ma figure.
La conscience me revient. Je respire, je nage. Je respire,
j’appelle : « Jean-Marie !
Jean-Marie ! »
    – Oôôôô ! par ici !
    Une main forte me saisit et me jette sur le
radeau. Acoupa a disparu.
    À son appel, un canot monté par deux noirs est
venu du dégrad des Canes. Les noirs n’ont voulu prendre qu’Acoupa.
Ils ont dit à mes compagnons : « Vous pouvez
crever ! »
    – C’est bien ! dit Jean-Marie, que tu
sois revenu crever avec nous !
    Et le radeau vogue. Il va jusqu’à cinq cents
mètres des îles Père-et-Mère et revient au dégrad des Canes. La
lanterne ! Encore elle ! Puis, peu à peu, le radeau se
disloque, une pièce se détache, nous commençons d’enfoncer. Nous
avons de l’eau jusqu’aux hanches, puis jusqu’aux épaules. Nos têtes
seules émergent.
    Il ne reste plus du radeau que les pièces
principales.
    Deverrer et Brinot veulent se noyer tout de
suite. Je leur jure que nous n’enfoncerons plus davantage.
    – Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
    – Je ne suis pas savant, vous savez, mais on
apprend des choses utiles, au bagne. C’est la loi d’Archimède,
dis-je.
    – De qui ?
    En fait de lois, ils ne connaissaient que
celles des députés, mes copains !
    – Archimède !
    – Qu’est-ce qu’elle dit, ta loi?
    – Tout corps plongé dans l’eau perd une partie
de son poids égale au poids du volume d’eau qu’il déplace. Or notre
poids actuel, sur le radeau, est à peu près de trois kilos chacun.
Les bois ont absorbé tout ce qu’ils peuvent boire. Si nous ne
descendons plus, à présent, c’est que le radeau ne peut plus
descendre. Vous entendez bien ?
    – Il a raison ! crie Menœil. Ah !
celui-là ! Il ne veut jamais mourir !
    Et puis, c’est le silence. Une sorte d’agonie
au gré du courant. On a bien froid, le corps submergé. Notre
fatigue est si immense que nous dormons quand même quelques
secondes, pour nous réveiller quand nos têtes tombent dans l’eau et
nous rendormir la minute d’après. Comment pouvons-nous nous
cramponner si longtemps à ces pièces de bois ? Nous pensons
tous aux requins et aux marsouins. Nous espérons que ni les uns ni
les autres ne nous verront. Les requins nous mangeraient, et les
marsouins, en voulant jouer avec nous, nous noieraient.

AU PETIT JOUR
     
    Et l’on voit arriver le petit jour. Nos yeux
se remplissent d’espoir, nous ne sommes qu’à un kilomètre du
dégrad.
    – Allons à la nage chercher du secours,
Jean-Marie !
    Une planche sous la poitrine, nous
partons ! Allégé, le radeau remonte, et les trois compagnons
peuvent ramer avec leur main. Ils avancent !
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