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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Londres
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feuilles dans ses branches et nous surprenions tous les
secrets de la jungle ; la goinfrerie du tapir qui, sitôt
réveillé, se mettait à avaler des fourmis ; la pitrerie des
singes. Ils étaient intrigués, ceux-là, de nous voir dans leur
royaume ; ils ne cessaient de nous regarder sous le nez. Tout
ce que nous faisions, ils l’imitaient. Je jouais de la trompette
avec mon doigt, ils en jouaient ; je fumais, ils
dégringolaient pour ramasser le mégot. Et la scène de famille chez
papa et maman puma, qui corrigeaient petit puma à coups de crocs
dans l’arrière-train ! Si j’avais eu une machine à tourner les
films, j’en aurais gagné de l’argent, et j’aurais maintenant un
joli complet pour me promener avec vous dans Rio de Janeiro.
    Les soirs, on descendait, afin de recevoir la
visite de Robichon, dit Pirate, ex-maître de danse à Toulouse.
    Il n’a jamais connu notre installation dans
l’arbre. C’était notre refuge secret contre les traîtres, les
mouchards, les chiens de chasseurs d’hommes. Pirate nous
entretenait des rumeurs de Cayenne. Menœil, Deverrer, Brinot
avaient parfaitement été arrêtés dans Remire. C’est la soif qui les
avait fait prendre. Il y a des gens qui ne savent pas souffrir le
temps qu’il faut pour réussir !
    Pauvre Menœil ! hein ? C’était sa
cinquième ! Et il chantait avec tant de confiance à la proue
de la pirogue !
    Jean-Marie et moi, nous passions pour morts.
Nous nous étions, paraît-il, enlisés avec Venet. « Seulement,
disait Pirate, il faut confirmer la légende ; c’est bien, de
la part des copains, d’avoir dit ça. Mais ce que je fais est
mieux. »
    – Et que fais-tu ?
    – Je vous enlise, chers camarades. À tous les
transportés, je débite d’effarants récits sur votre supplice. Toi,
Dieudonné, je te fais périr en hurlant. On entendait tes cris,
jusqu’au dégrad des Canes. Donne-moi vingt francs !
    – Assez tapé ! N’as-tu pas honte de
saigner deux misérables ?
    – J’ai honte, faim et soif, Donne vingt francs
ou je te ressuscite !
    Pirate trouvait des arguments de diplomate
pour nous empêcher de chercher asile ailleurs. Il avait déjà tout
engagé, tâté le pêcheur, préparé les voies de la liberté. C’est
ainsi qu’il s’exprimait ! Il nous apportait des preuves
innombrables et incontrôlables de sa bonne foi, de « son
dévouement jusqu’à terre ». Jambe de Laine confirmait
tout.
    – Jambe de Laine, demandait Pirate, est-il pas
vrai qu’hier j’ai crié devant un surveillant :
« Ah ! Dieudonné ! le malheureux ! crever comme
ça ! »
    – C’est vrai, disait Jambe de Laine.
    – Est-ce pas vrai que je me suis déjà mis en
rapport avec le plus habile pêcheur des mers de Guyane, et qu’il
s’appelle Célestat ?
    – C’est vrai !
    – Donne-moi trente francs !
    Ils restaient deux jours, parfois, sans nous
ravitailler. Ils buvaient notre pauvre argent chez un Chinois.
C’est alors que nous mangions avec les singes…
    La bonne vieille négresse n’osait plus nous
recevoir. Le bruit avait fini par courir à Cayenne que nous
n’étions pas morts, mais cachés dans les environs. Des Arabes
rôdaient près de notre retraite. Nous ne fûmes bientôt plus en
sûreté que dans notre arbre. Nous y vécûmes vingt-huit jours, ne
descendant qu’à l’heure où Pirate devait venir. Nous y grelottions
de froid quand il pleuvait, et, quand il faisait beau, les
moustiques nous suppliciaient. Et, comme si nous étions déjà des
morts, les vers macaques nous mangeaient. J’en ai eu douze. Et les
fourmis flamandes ! On a souffert ! Pourtant, notre
torture était surtout morale. La confiance en Pirate s’en allait.
L’argent aussi ; l’espoir…
    Le trentième jour, jours comptés un à un,
Pirate apparut, accompagné d’un noir.
    – Enfin, salut ! dis-je au nègre.
    Il s’appelait Strong Devil, il était de
Sainte-Lucie et connaissait la « mé » depuis les Antilles
jusqu’au Brésil sud. Il avait déjà trois forçats. Son prix était de
huit cents francs !
    – Pirate, dis-je, tu vas aller à Cayenne,
cette nuit. Voici une lettre. Tu frapperas à cette adresse, on te
remettra mille francs. Cinquante pour toi.
    Et je dis au noir :
    – Entendu. Quand ?
    Pirate répond :
    – Demain, à la nuit, Strong et moi, nous vous
attendrons dans le carbet de la bonne vieille. Tu donneras cent
francs à Jambe de Laine, cent francs à moi, plus les cinquante
promis tout de suite,

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