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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Londres
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de Strong et l’embrasse.
Sur le visage, la joie chasse le bagne, et, tous à la fois, comme
des fous ou des imbéciles, nous nous mettons à hurler en plein
océan : « Vive la Belle, la Belle des Belles, la Plus
Belle des Plus Belles ! »

Chapitre 12 SEPT LONGS JOURS
     
    Six jours exactement que nous sommes en mer.
Le vent est fort, la vague méchante. La pirogue, couchée sur sa
droite, bordage au ras de l’eau, avance. Nous la vidons à coups de
calebasse.
    Strong est beau. Pipe aux dents, il manie
tout, la voile, la barre. Nous chevauchons les vagues, nous les
descendons sans dévier jamais de notre route :
    – Ventez ! Ventez ! sainte
Cécile ! Ventez ! Ventez, mouché Diable ! Allume ma
pipe, Calabrais.
    Plus il vente, plus il rit !
    Il faut savoir que, lorsque les noirs croient
le diable dans leur jeu, ils ne doutent de rien.
    Voici l’Approuague, un des fleuves de Guyane.
Nous apercevons le mariage de son eau jaune avec la mer.
L’Approuague, où il y a de l’or ! Et puis, une
crique !
    Il s’y dirige, l’atteint, ancre.
    Après, il dit :
    – Strong va pêcher.
    Il jette une ligne de fond. Trente minutes
après, vingt mâchoirons gisent dans la barque.
    C’est bon, le mâchoiron, fait Dieudonné. Ainsi
appelions-nous le directeur du bagne de votre temps, le très
honorable M. Herménegilde Tell. Il avait les yeux comme ce poisson,
hors de la figure. Mais le poisson est bien meilleur !
    Maintenant, Strong dit : « Au nom du
Diable, je fais la cuisine ». Il allume le réchaud. On
mange.
    – Cette crique, reprend le nègre, s’appelle
« Crique des Déportés ». Vous ne le saviez pas ? Je
vais apprendre à mouchés blancs la géographie, moi, mouché
noir !
    Tout en mangeant, il conte :
    – Quand j’étais petit enfant, petit, petit, je
venais là avec des aînés, entrepreneurs d’évasions. Alors les
grands, ils laissaient là mouchés forçats. Ils disaient :
« Allez, z’amis, chercher de l’eau. » Et mouchés forçats
descendaient et la pirogue s’en allait, et mouchés forçats, ils
crevaient dans li vase et le palétuvier. Seuls les courageux se
sauvaient et gagnaient les hauteurs, là-bas. Ce furent les premiers
bûcherons de bois de rose, les premiers chercheurs d’or de
l’Approuague. J’étais petit, moi, tout petit…
    On regarde Strong. Il comprend notre pensée.
Il dit :
    – Humanité a fait progrès pendant que moi
devenu grand.
    Il lève les ancres. Nous pagayons. Quatre
heures après, pointant le doigt vers un sommet, Strong dit :
«Montagne d’Argent ! »
    Montagne d’Argent ! me dis-je. Quel
souvenir ! Moi aussi, c’était quand j’étais petit, petit.
J’allais à Nancy faire les commissions de ma mère. Elle me
disait : « Tu rapporteras du café de la Montagne
d’Argent. C’est le meilleur ! » Et la voilà !
    C’est bien elle. Si loin ! Si
près !
    Dans ce temps-là, c’étaient les jésuites qui
la cultivaient. Elle rendait. L’administration lui succéda.
    – Depuis, dit Strong, montagne donne rien de
café. Elle est devenue de bronze, puis de bois, puis de lianes,
puis d’herbes folles.
    La mer est grosse. Il pleut. Nous traversons
un terrible endroit. Strong lutte magnifiquement. Louis Nice et le
Calabrais vident la pirogue. Jean-Marie est barreur. L’autre et
moi, nous faisons le balancier pour empêcher la barque de chavirer.
Strong gagne une anse et crie :
    – Mouché Diable, protège ton fils, mouché
Strong !
    On ancre.
    On prépare à manger. Tout à coup, un vent
subit s’engouffre dans l’anse, des vagues chargent notre pirogue.
Elle oscille terriblement. Le réchaud, notre marmite sont culbutés.
Strong blanchit.
    – C’était un nègre, mon vieux.
    –– Alors, vous n’avez jamais vu un nègre
blanchir quand il y a de quoi ?
    – Pagayez ! Pagayez ! crie-t-il.
Jean-Marie lève l’ancre. Il était temps.
    Une tornade passait, arrachant les
palétuviers, jetant des épaves contre la pirogue. Les nuages
couraient si près de nos têtes qu’on aurait pu les toucher de la
main.
    Jean-Marie se dresse comme s’il avait quelque
chose à dire à la nature. « On s’en fiche, crie-t-il, si on
coule encore cette fois, on recommencera une
troisième ! »
    Et, parlant toujours à l’Invisible :
« Et une quatrième ! »
    À quoi cela servait, je vous le demande. Je
lui dis de s’asseoir et d’obéir. Il répond : « Bien,
patron ! »
    Un quart d’heure après, le calme

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