Aesculapius
exagérations ?
— Non pas. Sa rapacité et son peu de scrupules sont notoires, tout comme la vilaine façon dont il traite femme, enfants et apprentis. Toutefois, on ne m’a jamais confié qu’il se laisse aller à des contes à dormir debout.
— Fort bien. Allons de ce pas le visiter. Si je puis compléter les remèdes de votre apothicaire, je m’y emploierai. Messire Jean, nous souhaiterions ensuite interroger cette femme, attaquée elle aussi, une certaine Séraphine, une ongle-bleu.
Le visage déjà défait du mercier se crispa à cette mention. Il répondit d’une voix faible :
— C’est impossible. Elle vient de trépasser.
— De ses blessures ? J’ai ouï dire qu’elle s’en était pourtant remise en dépit de sa défiguration, intervint Léon.
— C’est ce que nous avons tous cru, en effet. Mais… mon épouse, la compassion incarnée, qui passait prendre de ses nouvelles… l’a découverte tout à l’heure, trépassée sur son grabat, mentit le mercier. Sans doute une faiblesse de cœur. Son épreuve avait été terrible et elle avait tant changé, se renfermant en elle-même.
Quelque chose, un subtil changement dans l’attitude du chef de village, alerta Druon, qui se contenta d’un :
— Vraiment ?
— Certes. Voyez-vous, messire mire, je m’en veux d’affreuse manière à son sujet.
— Comment cela ?
— Elle m’avait choisi comme unique confident, juste après son attaque par la… chose. J’ai douté de sa parole. Je l’ai crue bonimenteuse ou insensée, l’esprit troublé par son affreuse aventure. Je ne parvenais pas à croire qu’une femme puisse échapper à ce qui avait massacré de jeunes hommes, dont certains armés. Or, à quelques détails près, sans doute dus à l’affolement, le récit de Séraphine ressemble aux affirmations d’Alphonse. À l’exception de la présence de deux créatures d’épouvante, dans ce dernier cas.
— Je souhaiterais examiner le corps de cette pauvre femme lorsque nous en aurons terminé avec le tonnelier.
La bouche de Jean le Sage se crispa et Druon sentit qu’il avait vu juste, sans toutefois savoir ce qu’il venait de débusquer.
— C’est que… nous comptons la mettre très vite en bière… Une mesure de prudence.
— De prudence ? Aurait-elle contracté une maladie ? Vous avez évoqué une faiblesse de cœur plus tôt.
— Eh bien, nous ne le savons au juste. Toutefois, elle fut gravement blessée et nous craignions que la défunte… s’abîme très vite.
— Ses plaies, bien qu’ayant laissé d’horribles bourrelets, semblaient tout à fait cicatrisées, contra Léon d’une voix dont il ne tenta pas d’atténuer la méfiance.
— Ainsi que vous ne manquez pas de le savoir, le processus de décomposition des chairs n’est pas si rapide, monsieur, renchérit le jeune mire.
Jean le Sage était si mal à son aise que Druon le plaignit presque.
Une voix calme et ferme résonna alors dans leur dos.
— Messieurs ? Pardon, mon ami, je venais de descendre de notre chambre et j’ai perçu quelques bribes de votre conversation.
Les deux visiteurs se tournèrent pour découvrir la ravissante mais fort pâle Annette Lemercier, qu’ils saluèrent, attendant la suite.
— Tout ceci est ma faute… J’ai découvert Séraphine plus tôt… Pendue à la poutre de sa masure. J’ai refermé la porte derrière moi et confié la clef à mon mari. Séraphine… était devenue silencieuse, si distante, étrange. Sans doute le monstrueux souvenir l’a-t-il rongée au point de la pousser à cet acte irréparable. (Les larmes montèrent aux beaux yeux et elle acheva d’une voix tremblante :) Je… je n’ai pas pu supporter que son corps ne soit pas béni. Séraphine a tant souffert… Sa vie ne fut que revers et affliction, avant même cette attaque…
— Et votre époux a donc…
Annette interrompit le géant d’un geste.
— Mon époux n’a fait que céder à mon insistance et son… écart est la conséquence de son amour et de sa faiblesse envers moi. Je ne sais s’il s’agit d’un crime ou d’un péché. Cependant, j’en revendique l’entière responsabilité.
— Cette explication me satisfait bien davantage, admit Druon. Votre « insistance », madame, est à mettre au compte d’une belle compassion qui vous honore.
— Et puis, intervint Léon songeur, le village est sans prêtre. Qui peut donc décider du sort qui doit échoir à la dépouille ? Certes
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