Aesculapius
bon bibliothécaire a une langue bien pendue.
— Une amourette ?
— Non pas. Madame Julienne est fort sensible au lignage. Le sien est bien trop haut pour qu’elle condescende à considérer un bibliothécaire, même copiste, autrement que comme un domestique moins fruste que les autres. D’autant que j’ai eu le sentiment que le sieur Joliet n’était pas insensible aux charmes de Sidonie, une servante bien mignonne et qui a oublié d’être sotte – elle –, au point qu’elle sert maintenant la baronne.
— Alors quoi ?
— Joliet attise l’aigreur déjà virulente de madame Julienne envers sa belle-sœur, qui pourtant s’occupe d’elle comme ne l’a jamais fait son propre frère, feu le baron Hugues, que cette sœur gémissante agaçait. Évrard Joliet y trouve un intérêt, à l’évidence. Il se garantit ainsi son appui, sa protection. Et puis, le fiel de l’envie le ronge aussi. Pensez… le cadet de cinq, d’une famille de bourgeois cossus. Ne lui restait que sa belle main pour survivre après la mort du père et le partage des biens.
— Que pourrait tenter madame Julienne contre la baronne ? s’étonna Annette Lemercier.
— Seule ? Pas grand-chose. À ceci près que j’aimerais bien savoir ce qu’elle serre dans le petit cabinet de ses appartements. Rendez-vous compte : il faut deux clefs pour en ouvrir les vantaux. Deux ! Elle les garde en permanence sur elle, au bout d’une cordelette passée à son cou.
— Des bijoux fort précieux ? suggéra Annette.
— Elle n’en possède pas. La parade n’intéressait guère sa mère, une lettrée. (Revenant à son idée, Clotilde reprit :) En revanche, si l’acrimonie de madame Julienne trouvait un terreau favorable ailleurs…
— Ici, voulez-vous dire ?
La femme âgée hocha la tête en signe d’acquiescement. Annette avala une longue gorgée d’hypocras pour cacher sa gêne soudaine. Le mélange de vins commençait de lui monter un peu à la tête. Une sensation plaisante après l’extrême tension de ces derniers jours, mais dont il convenait de se méfier.
— Je pense avoir fait preuve d’une parfaite franchise avec vous, madame Annette, vous confiant des informations qui pourraient me valoir une cuisante remontrance de la part de ma maîtresse si mon bavardage lui venait aux oreilles. Quant à madame Julienne, en dépit de mon âge, elle me ferait rouer de coups ou arracher la langue, à n’en point douter.
— Vous avez ma parole devant Dieu, répéta la jeune femme.
— Et je suis certaine que vous la tiendrez. Toutefois, il ne me semble pas abusif de requérir de vous une certitude…
Pressentant ce qui allait suivre, Annette se tendit.
— Que se dit-il au village ? Est-ce le terreau propice que je mentionnais ? En vérité.
— À mon tour d’exiger votre parole que vous emporterez mes propos dans la tombe.
— Je ne le puis, madame. Si vous confirmez ce que je redoute, il me faudra en avertir Igraine afin qu’elle mette la baronne en garde. Comprenez-le, je vous en supplie.
— À tout le moins, jurez-moi sur votre âme que vous ne révélerez jamais la source de vos informations.
— Je le jure sur mon âme et sur les quatre Évangiles. Que je sois maudite pour l’éternité si je me parjure.
Il était hors de question qu’Annette portât le moindre préjudice à Jean. Aussi entailla-t-elle un peu la vérité exigée par son ancienne servante.
— Des voix se sont élevées lors du dernier conseil de village. Jean a tenté d’y mettre un terme, sans grand succès à ce que j’ai compris.
— Contre la baronne ?
— En effet. Il lui a été reproché la mollesse de son action contre la… créature. Jean a rappelé que le bailli du baron Herbert et même le prêtre exorciste n’avaient guère mieux fait. Vous ne vous étonnerez pas que ces reproches, pour certains virulents, ont également pris pour cible sa nature de femelle.
— Ah, il fallait s’y attendre ! Si elle est jugée inapte à protéger ses gens, elle n’est plus seigneur et redevient simple veuve.
Un pesant soupçon avait envahi Annette, qui demanda :
— Douteriez-vous de l’existence d’une infâme créature ? Selon vous, tout ceci serait-il un tortueux stratagème afin d’abattre la baronne ? C’est insensé. Les victimes sont bien là !
— Oh, la monstrueuse créature existe, c’est certain. Cependant, les idées les plus folles me viennent à l’esprit. À ceux
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