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Aesculapius

Aesculapius

Titel: Aesculapius Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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gémissements. Le pauvre homme avait fini par avouer la cachette du mince crucifix d’argent de son épouse, défunte depuis de longues années. La fureur avait secoué Léon : ce vieil abruti lui avait menti. Il avait tiré son couteau et balafré les joues ridées et jaunâtres. Le sang avait dégouliné. Le vieux gémissait, suppliait, pleurait, sorte d’indistinct bruit de fond. Exaspéré, Léon l’avait poussé avec brutalité. Un choc sourd. Sa tête avait heurté le coin de la cheminée. Il s’était effondré, mort, le crâne enfoncé. D’abord hors de lui, Léon avait tout retourné dans la maisonnette. Rien, si ce n’était un peu de vile monnaie. Tellement plus simple, plus lucratif aussi .
    Soudain, il s’était rendu compte qu’il avait pris une vie, une autre, pour un gain qui ne lui offrirait pas même un gobelet de vilain vin. Dégrisé, il s’était agenouillé à côté du vieillard, priant pour leurs deux âmes. Il avait serré la tête meurtrie contre lui, le sang tiède recouvrant ses mains. Il était demeuré ainsi une bonne partie de la nuit, l’esprit vide de toutes pensées à l’exception d’une seule : il avait tant tué, tant volé, tellement plus simple, plus lucratif aussi . Pourtant, il était seul, sans le sou. Il avait perdu son âme et même les cruchons de vin et les filles au ventre facile n’apaisaient plus son aversion de lui-même.
    Il n’avait jamais confié l’étendue de ses crimes à Béatrice d’Antigny lorsqu’il lui avait offert son service. Sans doute les avait-elle peu à peu devinés, du moins en partie. Ne lui avait-elle pas déclaré un jour :
    — Seuls les gens de haut sont inexcusables lorsqu’ils ne se comportent pas en gens d’honneur. Si l’honnêteté, la bravoure, la dignité sont des devoirs, ce sont aussi des luxes. Toutefois, ils peuvent appartenir à tous, si l’on en veut. Ils demandent grand labeur. Il s’agit d’un effort continuel que l’on ne poursuit pas pour plaire aux autres mais à soi. La scélératesse, la petitesse, la couardise sont tellement plus simples. Vois-tu, Léon, je me contre-moque des autres. Sais-tu pourquoi ? Parce que je suis mon juge le plus implacable et que je ne parviens pas à me mentir. Dieu me pardonnerait sans doute mes offenses, moi pas.
    L’attachement, l’amour qu’il ressentait pour elle naissaient en partie de cela. Elle ignorait la pitié. Pourtant, son âme était vierge de souillure. Et Léon avait été fasciné par le spectacle de cette âme indemne. Il s’était peu à peu convaincu que sa fréquentation pourrait, peut-être, laver un peu la sienne. Juste un fragment, un éclat qui puisse certifier qu’il n’avait pas perdu toute humanité. L’idée que l’on veuille la tuer le ramenait des années en arrière, vers son temps de barbarie, un temps dont il ne voulait plus. Planté sur la dernière marche, il s’efforça au calme, ordonnant à son cœur, à son souffle de reprendre un rythme normal.
    Elle se montrait sans pitié, mais jamais elle n’avait tué par humeur, par facilité, par intérêt ou par peur.

    Sans doute son visage portait-il encore les ravages de sa férocité de jadis car, lorsqu’il pénétra dans l’immense cuisine, un silence compact se fit, seulement troublé par le crépitement des flammes dans les deux cheminées qui se faisaient face. Une louche chut sur le sol dallé de pierre, rebondissant dans ce qui parut un fracas. Tous le fixaient comme si une sorte de prescience les avait avertis de l’imminence d’un cataclysme. L’imagina-t-il ou la jeune Sidonie se recula-t-elle avec discrétion derrière un souillon de cuisine à peine sorti de l’enfance ?
    Le regard du géant balaya la vaste pièce voûtée, l’immense table centrale qui courait en son milieu sur presque toute sa longueur, alourdie de pots, de marmites, de broches, de volailles à plumer, de champignons 1 , de jattes de crème, d’écuelles de sang de porc, d’ustensiles. Une jeune femme était installée sur le banc qui la flanquait, figée dans son geste, un canard dans une main, une touffe de plumes dans l’autre. Dans un coin, ouvrant au sol, l’orifice qui permettait de jeter des détritus pour nourrir les carpes aveugles du vivier creusé sous la cuisine. Suspendues à des crocs alignés sur l’un des murs, des cochonnailles diverses achevaient de sécher, gratons 2 , jambons, oreilles de porc, des friandises à croquer en mise en bouche.
    — Maître

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