Aesculapius
cuisinier, maître saucissier, maître fournier, j’ai à vous parler. Dehors.
Les trois hommes se consultèrent du regard et obtempérèrent, l’air inquiet. Ils escortèrent Léon dans le couloir et s’éloignèrent de quelques pas de la large entrée. Léon les fixa tour à tour, le visage fermé. Enfin, le fournier s’enquit, assez incertain :
— Messire Léon, vos visites sont rares… mais bienvenues. Aussi, la baronne aurait-elle à se plaindre de notre service ?
Le saucissier avait pâli et regardait ses socques avec une extrême attention. Il s’humidifia les lèvres de la langue. Le cuisinier, un petit homme rond et jovial, semblait se demander ce qu’il faisait là et s’il avait, par malheur, trop relevé un plat.
D’une voix glaciale, Léon reprit :
— Non pas. Du moins jusque-là. Qui prépare chaque soir le vin chaud de notre seigneur ?
Sa question, pourtant fort simple, parut jeter les trois autres dans une agitation d’incompréhension. Ils se regardaient, haussant les sourcils, secouant la tête. Léon se fit encore moins amène :
— Avez-vous perdu le sens ? La question est fort intelligible. Qui le prépare ? Avant que ma bile ne s’échauffe !
Le cuisinier rondelet lui jeta un regard éperdu et avoua :
— Eh bien, messire, moi, le plus souvent… Ah, Dieu du ciel… mon vin aurait-il donné des aigreurs de ventre à notre seigneur ?
— Le plus souvent ? Qui d’autre ?
— Ma foi, selon l’heure et l’occupation, un peu tout le monde. Lui et lui, acheva-t-il en désignant ses compères, dont le saucissier toujours perdu dans la contemplation de ses socques et dont le regard n’avait pas croisé une seule fois celui de Léon. Parfois un serviteur. Ce n’est guère compliqué. Un peu de vin, de miel, de cannelle, de muscade et de gingembre, un clou de girofle, qu’il convient d’ôter ensuite pour que notre seigneur ne risque pas de l’avaler… le tour est vite joué !
— Plein de gens, donc ? insista Léon que cette précision rassérénait un peu.
Cinq ou six personnes ne pouvaient avoir décidé d’empoisonner Béatrice. Ce geste odieux n’était l’œuvre que d’une seule personne. En d’autres termes, la préparation du breuvage n’était pas en cause. Il était enherbé ensuite, alors qu’on le montait à la baronne. Son enquête se resserrait.
— Oui-da. S’est-elle plainte ?
— Non pas. Me faut-il justifier mes demandes, l’homme ? Oublies-tu qui je suis ?
Le cuisinier recula d’un pas, assez effrayé, bredouillant :
— Oh non, messire, non… L’homme de confiance de notre seigneur peut exiger… jusqu’à mes secrets de sauces !
Léon réprima un sourire. Fichtre, ses secrets de sauces qu’il protégeait au point de ne les confectionner qu’en écartant tous ses aides et ses souillons afin qu’ils ne puissent les deviner.
— Maître saucissier ?
— Messire, répondit l’autre d’une voix tremblante, sans lever les yeux.
— Ton regard, l’homme, avant que j’y voie offense… ou pis.
Clignant des paupières nerveusement, l’autre obéit. Le bas de ses joues tremblait de peur. Ce coquin-là avait quelque chose à se reprocher, Léon en aurait mis la main au feu.
— Euh… messire ?
— Rien.
L’autre fit mine de repartir vers le havre des cuisines, l’ordre de Léon claqua :
— Reste ! Je n’en ai pas terminé avec toi. (Se tournant à nouveau vers le cuisinier dont il aurait juré qu’il n’avait rien d’un tueur abject, Léon demanda :) Qui porte son vin de nuit à notre seigneur ?
— Ma foi… messire, tout dépend de qui se trouve là… Je l’ai moi-même monté à une ou deux reprises, il y a bien longtemps… D’autant que c’est… embarrassant… Enfin, la baronne peut être en vêtement de nuit… Mieux vaut une femme… Sidonie, qui est toute dévouée à notre maîtresse, insiste maintenant pour lui apporter son vin. Parfois, Clotilde se trouve là et la remplace.
— Or donc, c’est surtout Sidonie ?
— En effet.
Le fournier ajouta :
— Elle n’a point d’heure pour servir notre seigneur. Elle peut rester jusqu’à la pleine nuit afin de s’assurer que la baronne Béatrice n’aura besoin de rien. Son zèle et son empressement sont méritoires ; d’ailleurs, notre maîtresse l’a distinguée et placée à son service personnel.
— Il est vrai. Le merci. Vous pouvez vaquer à vos tâches, sauf toi, précisa-t-il en désignant
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