Aesculapius
Grinchu que sa barbe de nuit rendait encore plus sinistre, Sidonie affolée se trouvait déjà dans la grande salle lorsque Léon et Druon y pénétrèrent. Un souillon, sommé de se réveiller et de se hâter, avait lancé un feu dévorant dans l’immense cheminée. Toutes les bougies avaient été rallumées. La jeune fille fixa le mire, demandant d’une voix heurtée :
— Messire… Que se passe-t-il ? Qu’ai-je commis ? J’ai été tirée du lit par ce… (Elle désigna le gens d’armes de la baronne et rectifia :) Par Grinchu qui ne dit mot. Aurais-je mécontenté ma maîtresse ?
— Le mieux, Sidonie, est que nous patientions. Cependant, apaisez-vous… pour ce que j’en sais, il ne s’agit que d’interrogations.
L’attente fut courte. Béatrice d’Antigny pénétra, l’air fermé. Sans doute l’aigle Morgane était-elle demeurée dans ses appartements, et Druon en fut soulagé. La baronne était vêtue d’une housse bleu de mer froide, bordée de vair, passée sur une cotte d’un gris pâle. Le mire se fit la réflexion qu’en dépit de l’urgence du moment elle avait fière allure. Sans un regard pour eux, elle s’installa sur sa forme.
— J’attends ! lâcha-t-elle.
Léon relata ce qu’il avait appris des maîtres de cuisine, passant sous silence les indélicatesses du saucissier et sans doute des deux autres. L’heure n’était pas aux médiocres rapines, mais au meurtre. Intimant à Sidonie qui voulait protester l’ordre de se taire, Druon résuma d’un :
— Or donc, à moins d’imaginer une conspiration d’enherbeurs, ce qui paraît fort peu probable, le poison a été ajouté après la préparation du breuvage.
— Qu’as-tu à répondre, Sidonie ? exigea la baronne d’un ton qui fit froid dans le dos à Druon.
Paniquée, livide jusqu’aux lèvres, la jeune servante tenta de se justifier, implorant de ses mains jointes.
— Seigneur, je jure sur les Évangiles et sur mon âme que je n’ai jamais commis acte si épouvantable ! Je vous sers avec dévotion, respect, fidélité. Je préférerais mourir plutôt que de vous porter atteinte ou de permettre à quiconque de vous faire du mal.
— À la fin, c’est toi qui me portes ce vin chaud presque chaque soir ! s’emporta Béatrice d’Antigny.
En dépit de la véhémence de son ton, Druon sentit que la baronne espérait être détrompée quant à la culpabilité de cette jeune femme en qui elle avait placé un peu de sa confiance.
— Avec votre approbation, seigneur, j’en reviens à ce que j’ai déclaré à messire Léon, intervint Druon. Tous nous décrivent Sidonie comme leste d’esprit. Pourtant, il aurait fallu qu’elle soit bien obtuse pour se faire remarquer en insistant, voire en querellant, sur le fait qu’elle exigeait être seule à vous porter votre vin. C’était la meilleure façon de se désigner comme assassine.
Sidonie lui jeta un regard éperdu de reconnaissance. La baronne cria :
— Qui, alors ?
Se tournant vers la jeune servante, le mire la pressa sans brutalité :
— Avivez vos souvenirs, Sidonie. Quelqu’un vous propose-t-il son aide pour porter le plateau jusqu’aux appartements de notre seigneur ?
Elle hésita, puis :
— Euh… non.
— Réfléchissez, c’est d’une extrême importance.
— Non pas… Parfois, Clotilde s’est empressée de me remplacer… pour se faire bien voir. Nous nous sommes disputées à ce sujet. Elle n’est pas au service de chambre de notre seigneur. J’en suis chargée ! Elle n’a pas à usurper ma tâche…
— Croisez-vous parfois, quelqu’un ?
— Non… Messire mire, je vous assure que je n’ai rien commis de mauvais…
Une voix guillerette s’éleva de derrière le dorsal :
— Elle ment !
Une vague parcourut la tapisserie et Igraine parut, son freux perché sur l’épaule.
— Tu nous espionnais, commenta Béatrice.
— Non pas, seigneur. Je n’espionne jamais, je surveille, pour votre protection. (Se tournant vers la jeune Sidonie tremblante, elle plaisanta :) Ah, les filles, les filles ! On ne les refera pas. Heureusement, d’ailleurs : le monde serait moins drôle sans cela.
— Au fait ! s’impatienta la baronne.
— Eh bien, j’ai surpris Sidonie en conversation… « galante » serait peut-être abusif, disons « plaisante » avec votre bibliothécaire-copiste, le sieur Évrard Joliet. Tous deux gloussaient telles des bécasses se faisant la cour. Le plateau
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