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Aesculapius

Aesculapius

Titel: Aesculapius Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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avait-on assassiné cette pauvre femme ? Elle ne possédait rien, vivait en tranquillité, ne se mêlant jamais d’affaires qui ne la concernaient pas, et tous éprouvaient pour elle une compassion avivée par les horribles blessures infligées par la créature.

    Jean grogna dans son sommeil lorsqu’elle se leva avec un luxe de précautions afin de ne le pas éveiller. Le pauvre était si affecté par toutes ses histoires affreuses qu’il avait pris dix ans en quelques semaines et que son beau visage se creusait, au point d’évoquer parfois un masque mortuaire. Elle aurait voulu savoir le mieux réconforter.
    D’une certaine façon, elle l’aimait. Toutefois, pas du même amour que celui qu’il éprouvait. Il s’agissait plutôt d’une grande tendresse à laquelle se mêlait une admiration sans borne. Au fond, elle admettait que Jean était devenu son père, son vieux mari et même un peu son fils. Elle avait eu une chance inouïe en le rencontrant et s’était attachée à lui plaire, en dépit de leur grande différence d’âge.
    Annette avait toujours eu la tête sur les épaules. Très jeune donzelle, elle dessinait déjà ce que serait son existence future. Qu’avait-elle besoin d’un fol attachement à un époux ? Ne s’agissait-il pas là de la meilleure façon d’être déçue et de souffrir ? Qu’avait-elle besoin de l’un de ces jouvenceaux séducteurs aux belles promesses, dont les flammes passionnées ne duraient qu’un printemps ? Non, pas elle. Son choix se porterait sur un homme bon, plus âgé, au fait de la vie et fort nanti. Après tout, le marché se révélait équitable : ravissante, jeune, elle se montrait vive d’esprit.
    Jean correspondait en tout point à ce portrait, et elle n’avait jamais regretté son choix. Toujours raisonnable, elle l’avait judicieusement influencé afin qu’il rédige un testament devant notaire, garantissant très confortablement son futur. Prudente, Annette n’avait qu’une confiance limitée en les deux fils issus du premier lit de son époux. Pis, leurs affabilités et leurs prévenances à son égard ne la rassuraient pas outre mesure. Quant à offrir un nouvel hoir 1 à Jean pour récupérer un douaire, c’était exclu et elle y avait veillé. Il existait des plantes efficaces afin de ne pas tomber grosse. Une fois Jean trépassé – le plus tard possible, à Dieu plaise –, elle vivrait paisiblement 2 , sans plus dépendre de personne ainsi qu’elle en avait toujours rêvé.
    Elle chassa cette perspective de son esprit. Malgré le bonheur que lui procurerait cette liberté enfin acquise, le décès de Jean lui causerait un réel chagrin.

    Annette descendit sans bruit vers la cuisine afin de se préparer une infusion de verveine et de mauve, souveraine pour lutter contre l’insomnie. Le silence nocturne de la vaste demeure l’oppressait. Au demeurant, était-elle due au silence, cette sorte d’appréhension insidieuse qui ne la quittait plus depuis quelques jours, depuis le changement d’attitude de Séraphine ? Pauvre, pauvre femme. Pourquoi fallait-il que le sort s’acharne sur certains êtres qui n’avaient pas plus démérité que d’autres, bien au contraire ? Le sort ?
    Les reins appuyés contre le rebord du grand évier de pierre creusée, Annelette dégustait son infusion à petites gorgées. Elle n’avait pas eu le courage d’alimenter le feu couvant de la cheminée et s’était contentée d’une eau tiède. Sans qu’elle comprenne pourquoi, son regard revenait sans cesse vers le couloir. Vers l’autre côté, la pièce servant de bureau à son époux. Soudain, elle se rendit compte que son esprit avait établi des digues, sans qu’elle en soit consciente, interdisant le passage à certaines pensées. Non ! Allons, elle perdait le sens ! Pourquoi repousserait-elle des réflexions ? Pourtant, son intelligence luttait maintenant avec âpreté contre son désir d’aveuglement.
    Le sort ? En vérité ? Le sort avait-il été l’unique artisan du malheur de Séraphine ? Aussitôt, une cohorte de « pourquoi » défila dans l’esprit d’Annette. Pourquoi Jean semblait-il rongé à ce point par cette affaire, certes effroyable, mais qui ne les avait pas touchés directement ? Pourquoi n’avait-il pas empêché plus fermement le père Henri de partir à la recherche de la Bête, crucifix brandi ? Pourquoi, lui, le très pieux, avait-il accédé avec tant d’aisance au caprice de son épouse

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