Aesculapius
hululement lui répondit. Les bruits de la nuit. Elle ne dormait pas.
Une vague de nausée la suffoqua et elle se rua vers la cuisine pour y dégorger sa tisane. Les sanglots se mêlèrent à ses hoquets, et elle se laissa couler au sol.
Pas Jean, supplia-t-elle. Jean ne pouvait pas… Elle avait mal compris, interprété les lignes telle une imbécile. Mais soudain, l’implacable vérité s’imposa à elle, et la fureur naquit. Contre une promesse de bailliage, un poste très flatteur et surtout très lucratif, son mari se faisait, d’une certaine façon, complice de cette créature qui mettait en pièces des gens, des gens qu’il connaissait depuis des lustres, des gens qui avaient foi en lui. Jean était à l’origine du meurtre de Séraphine, qui avait refusé de taire ce qu’elle savait en échange d’une somme d’argent. Prudent, le baron Herbert n’exigeait rien. Cependant, cette lettre était limpide : Séraphine ne devait pas répandre son témoignage, à aucun prix. Plus que tout le reste, Annette sut qu’elle ne pardonnerait jamais à Jean le pauvre petit cadavre suspendu à une poutre. Jean qu’elle avait admiré au point de finir par l’aimer un peu. Elle se releva, essuya ses joues trempées de larmes et fonça à nouveau vers l’étude pour prendre connaissance de la deuxième lettre.
Elle portait une date antérieure, deux mois plus tôt.
« Messire Jean,
Il était important que je vous rencontre afin de prendre la mesure de votre fidélité à mon égard. Croyez que vos premières réticences m’ont rassuré. La stratégie que j’ai en tête depuis longtemps est délicate et ne se fera pas sans dégâts annexes. Il en va ainsi de la politique.
Une fois votre province débarrassée de l’inepte et calamiteuse domination de ma tante Béatrice, j’aurai besoin d’un homme de confiance, bien établi sur place, respecté et écouté, comme bailli. Vous êtes cet homme.
Mon bailli Galfestan – dont je ne sais ce qui l’emporte en lui de la sottise ou de la couardise – et mes gens d’armes ayant échoué à exterminer la créature – nulle surprise – m’est venue l’idée que je vous ai révélée. Vous en savez maintenant davantage que ma chère épouse. C’est vous dire l’ampleur de la confiance que j’ai placée en vous. C’est également insister sur celle que prendrait mon courroux si vous me trahissiez. Votre conseil de village va me devoir supplier afin que j’intervienne personnellement, justifiant que ma tante soit écartée. Jusque-là, qui doit être prévenu le sera.
Croyez bien que je ressens, moi aussi, le poids de mes choix. Je les ai pourtant faits en toute âme et conscience. N’oubliez jamais que nous œuvrons au bien de tous.
Votre bienveillant suzerain,
Herbert d’Antigny. »
Grâce à Jean, à son active complicité, Herbert d’Antigny cherchait à destituer Béatrice afin de récupérer ses terres. Jusque-là, qui doit être prévenu le sera . La créature ! On ferait savoir à la créature qu’elle ne devait pas se montrer lorsque le risque était grand pour elle. En d’autres termes, l’ignoble bête était un homme. Jean tentait maintenant de faire accroire avec subtilité, après avoir feint d’atermoyer, qu’elle était démoniaque et que seule la belle âme d’Herbert et sa force de mâle pourraient les en défaire. Un homme, peut-être à la solde d’Herbert. Peut-être Jean connaissait-il son identité. Peut-être qu’à chaque odieux carnage commis il savait qui en était l’auteur.
Sans doute y avait-il eu d’autres missives dont il s’était débarrassé par précaution, conservant ces deux-là uniquement parce qu’elles attestaient par écrit qu’il deviendrait bailli, une charge gagnée sur les hurlements, la terreur, la souffrance et le sang d’innocents.
Annette ne sut ce qui l’emportait en elle du dégoût, de la rage ou de la haine. Une autre pensée tempéra la violence de ses émotions. Se venger de l’effroyable déception que venait de lui infliger Jean, venger tous ces pauvres gens, surtout, venger Séraphine. En revanche, tout perdre à cause de la fatuité de son vieux mari qui s’imaginait se pavanant en bailli, être punie pour ses fautes à lui, était exclu.
Réfléchir. Au fond, Jean avait été l’outil choisi pour accéder à la vie qu’elle s’était prévue depuis l’enfance. Quand un outil se révèle défectueux, ne s’en débarrasse-t-on pas ?
Lorsque sa
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