Aesculapius
l’enherbeur.
— Venez, allons lui arracher des aveux de ce pas.
— Certes pas.
— Avez-vous perdu le sens, mire ? Vous ne souhaitez pas qu’il paie pour ses fautes ?
— Si fait, lorsque je serai parvenu à une certitude quant à son crime abject. Vous l’allez menacer, bousculer, peut-être malmener et je ne serai jamais sûr que ses aveux aient été véritables. De grâce, messire Léon… N’avez-vous pas appris à m’accorder un peu de confiance ? Croyez-vous que je protégerais un assassin de la pire espèce 1 ? Vous voulez en découdre, j’exige une conviction.
Il sentit l’hésitation faire rage en Léon. Enfin le géant concéda :
— Je vous accorde une demi-heure. Au-delà, je pars à votre recherche et je m’occupe en personne de votre suspect. Je préfère tenir compagnie à Huguelin pendant ce délai. Si je croisais le regard de ma maîtresse, je ne pourrais lui dissimuler ce que je sais et elle ne vous octroierait jamais la permission que je vous accorde. Faites vite et au mieux.
Druon fonça. Il gravit quatre à quatre les marches et se rua vers la bibliothèque. Le sieur Évrard Joliet se penchait sur un haut lutrin et lisait. Il sursauta à l’entrée bien peu cérémonieuse du mire. Sa peau de blond s’enflamma de surprise et il bafouilla :
— Messire mire… Que me vaut l’honneur de…
— L’honneur ? C’est à voir. J’ai peu de temps, monsieur, et vous encore moins. Aussi épargnons-nous les préambules de courtoisie. Ils ne sont plus de mise.
— Je n’ai pas le sentiment de comprendre tout à fait…
— Vos mains, monsieur. Montrez-moi vos mains.
Prétendant l’affront, l’autre se rebella :
— À la fin, c’est un peu fort ! Qui êtes-vous pour…
— Préférez-vous que j’aille quérir la baronne, ou messire Léon, que j’ai eu toutes les peines à dissuader de me suivre ? Le choix est vôtre, mais hâtez-vous.
— Je…
— Vos mains !
Le bibliothécaire-copiste hésita encore puis tendit de mauvaise grâce l’une d’elles. Tous les ongles étaient recouverts de taches d’encre, celles qui étaient revenues au souvenir de Druon grâce à Huguelin. S’y mêlaient l’encre rouge de minium, la noire de fumée, l’encre de galles du chêne et l’encre verte de malachite.
— Euh… j’ai peine à me débarrasser de ces taches, expliqua Joliet.
Druon huma l’haleine de Joliet et ironisa :
— Fichtre, même en utilisant force gomme arabique comme fixateur, elles ont sacrée tenue. Allons, un bon brossage à la cendre de bois et à l’eau ne parvient-il pas à vous rendre les doigts roses et propres ? Peu importe.
Le jeune mire caressa les ongles du copiste et trouva vite ce qu’il cherchait. Il constata :
— Vous avez mâché une jolie quantité de graines d’anis. C’est mal connaître le nez des médecins, rompu à discerner l’odeur des maladies. Sous l’anis se perçoit l’ail de votre haleine, monsieur. De surcroît, des irrégularités sont apparues sur vos ongles, et c’est afin de les dissimuler que vous les gardez tachés, car, si je ne m’abuse, vous ne copiez pas des deux mains ! En d’autres termes, vous connaissez ce symptôme très révélateur de l’enherbement arsenical. Lorsque vous le manipulez chaque soir, puis léchez vos doigts afin de tourner une page, ou saisissez des aliments, lorsque vous le respirez, vous vous contaminez à faible dose.
— Menterie ! Accusation abominable ! Je vous ferai bastonner pour vos injures inexcusables. Je me plaindrai ! hurla Joliet en se reculant.
— À qui ? À la baronne que vous faisiez passer de vie à trépas ? Vous êtes une immondice de la pire espèce, Joliet. Vous avez tenté d’enherber un seigneur qui vous avait accueilli et vous traitait avec respect. Vous avez prévu de faire accuser à votre place, le cas échéant, une pauvre fille, Sidonie. Elle a cru à un joli attachement de votre part, quand votre seule intention était de pouvoir rejeter le crime sur elle. Après tout, c’était elle qui apportait le breuvage, à ceci près que vous vous empressiez de la rencontrer, de porter son plateau au prétexte de la décharger ainsi qu’un amoureux aurait fait. Vous la charmiez, la faisiez rire afin qu’elle ne voie pas la poudre que vous ajoutiez en discrétion. Vous êtes une… chose méprisable, monsieur.
Le visage de Joliet s’était décomposé. Il transpirait à profusion et se tordait les mains. Il
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