Aïcha
de Dieu, je te le dis, ça suffit ! Nous ne voulons plus supporter les insultes des faussaires ! Terminons-en avec ces malfaisants ! Nous ne sommes plus faibles. Les blessés d’Uhud ont recouvré leurs forces. Madina doit huiler ses cuirasses et se tenir prête pour l’automne. L’humiliation a assez duré.
Je n’en saisis pas davantage. Barrayara et Hafsa s’impatientaient près des mules déjà sanglées avec les jarres vides. En cette saison, on conservait l’eau des puits pour les jardins. Celle qu’il fallait à la maisonnée pour vivre, nous allions la puiser dans le wadi presque à sec. Cela exigeait un temps infini.
Au retour, dans l’ombre lente du crépuscule, nous guettions le chant puissant de Bilâl annonçant l’heure de la prière. Nous nous précipitions alors dans une masdjid toute neuve entourée de pierres blanches que Muhammad avait fait construire au pied des pentes du Jabal Sal à notre arrivée dans l’oasis. Y prier était un bonheur sans pareil. Hafsa s’en trouvait émue tout autant que moi.
Loin devant nous, dans la direction de Mekka, se dressaient les murs de Madina. Tandis que nous récitions les premières paroles des lois d’Allah, la nuit nous enveloppait peu à peu. Elle descendait sur l’oasis, étouffant les sons et les teintes. Plus d’une fois, il me sembla que la paume de Dieu se posait sur nous, caressant et emportant la lumière afin que rien ne nous distraie.
Jamais je n’ai prié avec plus grand bonheur qu’en ce lieu. Lorsque nous remontions sur nos mules, nous ne prononcions pas un mot. Le pas des bêtes et le clapotis de l’eau dans les jarres nous berçaient tels des enfants dans les bras de leurs mères. Il semblait que, sur le dos de nos mules, nous ne pesions pas plus lourd que ces nouveau-nés.
Le soir, quand je retrouvai ma chambre et allumai les lampes, la discussion entre mon époux et Omar résonnait encore. Muhammad, cette nuit-là, devait rejoindre Hafsa. Je me couchai sans attendre. Dans la paix de ma chambre, l’écho des voix dans la mosquée me parut plus proche. Celle d’Omar, surtout. Je crus percevoir dans son ton une insistance et une colère dénuées du respect dû à l’Envoyé. Encore emplie de la douceur de ma prière dans la masdjid du Jabal Sal, je me reprochai aussitôt cette pensée.
Comme je ne pouvais m’empêcher de tendre l’oreille, j’entendis Omar prononcer le nom d’Hafsa. J’en conçus un mauvais pressentiment.
Lorsque le silence revint enfin derrière la porte, je restai éveillée avec mes questions et ma curiosité. Je me raisonnai : il était bien naturel qu’Omar parle de sa fille devenue l’épouse de l’Envoyé. Mon père en faisait tout autant…
Un demi-sommeil m’emporta. Il se brisa bien avant l’aube sur un bruit inattendu. Je me dressai sur ma couche. Un homme entrait chez moi, tenant une lampe à la mèche minuscule. Son ombre dansait étrangement sur les murs. Avec soulagement, je reconnus Muhammad. Il accrocha la lampe à la poutre puis lança son manteau sur ma couche. C’est seulement quand il se tourna vers moi que je vis ses yeux. Je sus. Je fus tout de suite debout et saisis ses mains quand il s’agenouilla.
Le lendemain, dès avant la prière de l’aube, l’Envoyé monta l’escalier du prêche et annonça :
— J’entends le roulement qui bat dans vos coeurs depuis notre retour d’Uhud. Cette nuit, mon frère Djibril est venu me visiter. Dieu a entendu vos questions. Voici Sa réponse : « C’est le temps des monâfiqoun [17] . Ne défaillez pas, ne vous attristez pas. C’est vous qui avez le dessus en toute occasion, puisque vous êtes croyants. Allah fait alterner les jours bons et les jours mauvais. Il voit et Il juge. Il est informé de tout. Il fait briller et Il pousse dans l’ombre. Sa justice est intransigeante. Telle est Sa bonne nouvelle [18] . »
Plus tard, sous le tamaris, à tous ceux qui vinrent le consulter, la mine inquiète, et le soir, à nous, ses épouses, quand nous l’accueillîmes dans nos chambres, il répéta :
— Restez sur vos gardes, mais vivez comme si les monâfiqoun n’avaient pas de bouches pour vous insulter ni d’yeux pour vous regarder. Dieu, Lui, voit tout et Il entend tout. Il sait que les Mekkois préparent un autre mauvais coup contre nous. Tenez-vous sur vos gardes, n’oubliez pas qu’Abu Sofyan est un serpent. Sa langue fourche d’une part vers les idolâtres et d’autre part vers les
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