Aïcha
le menton haut, une moue d’arrogance dessinant sa bouche. Un cri de douleur lui fit tourner la tête. Il reconnut son fils. Une femme appliquait un fer sur sa cuisse pour purifier la plaie d’une lance. Le jeune homme mordait de toutes ses forces dans un noeud de cuir pour étouffer ses hurlements.
Ibn Obbayy s’approcha. Il attendit que la femme lave le visage de son fils à l’eau fraîche. Quand le jeune homme rouvrit les yeux et sembla capable d’écouter, son père déclara :
— Voilà où cela t’a conduit, mon fils, de ne pas suivre mon conseil ! Tu brûles et tu gémis parmi les vaincus.
‘Abdallâh ibn Obbayy parlait fort. Il voulait que chacun entende ses paroles. Son fils protesta dans un souffle :
— Ô mon père, ne parle pas ainsi ! Je suis allé là où je le devais : droit sur le chemin d’Allah au côté de Son Messager.
— Les vaincus sont les vaincus. Qui pourra croire qu’Allah marche avec eux ? Le païen Abu Sofyan portait le bois du faux dieu Hobal accroché à sa selle. Aucun d’entre vous ne l’a réduit en miettes. Aujourd’hui, à Mekka, on se réjouit en dansant parmi les idoles, tandis qu’ici on respire les plaies et la mort. Seuls des hommes stupides et ignorants pouvaient vous entraîner en si petit nombre contre les trois mille guerriers de Mekka. J’avais conseillé : « Restez dans Madina. Nos fortins sont imprenables. » Les Mekkois le savent. Ils ne s’y seraient pas frottés. Quand il s’agit de guerre, dans cette oasis, s’il en est un qu’il faut écouter, c’est moi. Mais vous avez préféré courir derrière la fille de l’Envoyé.
L’insulte était dite. Elle leva un grondement parmi les blessés.
Muhammad observait ibn Obbayy en silence. Son ami juif, Ubadia ben Shalom, apparut à son côté. Il connaissait l’art de traiter les plaies. À l’aube, notre époux l’avait fait appeler pour qu’il soigne Talha, qui n’avait pas encore repris connaissance.
Ben Shalom leva les paumes en direction d’ibn Obbayy :
— N’insulte pas ceux qui croient assez en Dieu pour ne pas marchander leur vie. Retourne chez toi, cela vaut mieux pour toi comme pour moi.
— Une bataille est une bataille ! se défendit ibn Obbayy avec une grimace de dédain. Elle est perdue ou gagnée. En quoi les morts d’Uhud seraient-ils bons pour Allah ?
Son ton débordait d’insolence. Il parlait sans regarder ben Shalom, mais en fixant Muhammad. La colère s’empara des blessés. Ceux qui le pouvaient se levèrent. Ils agrippèrent le manteau d’‘Abdallâh ibn Obbayy :
— Ennemi d’Allah ! Tu n’es pas digne de parler dans cette cour !
— Ibn Obbayy, tais-toi ! L’Envoyé te réclamait à son côté et tu as fui… !
Ibn Obbayy se débattit en grondant :
— Tenez votre langue ! Je n’ai rien dit de mal ! Quand vous avez gagné à Badr, vous avez déclaré : « Les anges d’Allah étaient avec nous, sans quoi, à trois cents contre mille, jamais nous n’aurions vaincu les Mekkois. » Aujourd’hui, les anges d’Allah n’étaient pas avec vous. Pourquoi ? Allah ne vous soutient-il plus ?
Quelqu’un hurla :
— Hypocrite ! N’as-tu pas entendu le prêche de l’Envoyé hier soir ? Par sa bouche, Djibril a répondu à ta question ! Honte sur toi. Allah sépare les vrais Croyants des menteurs de ton espèce !
Pour toute réponse, un drôle de sourire s’étira sous la barbe d’‘Abdallâh ibn Obbayy. La rage des blessés enflait. Devinant que la dispute risquait de mal tourner, Muhammad s’approcha d’ibn Obbayy et d’un geste fit cesser les protestations.
— ‘Abdallâh ibn Obbayy ibn Seloul, dit-il avec calme en montrant la civière où reposait Talha, gémissant et inconscient. Regarde celui-ci. C’est Talha ibn Ubayd Allah. Il n’a rien épargné de sa vie au moment de l’offrir au Clément et Miséricordieux. En retour, Dieu lui accordera bonté et justice. Regarde-le. Il est comme mort. Depuis sa tête jusqu’à ses pieds, Ubadia ben Shalom a compté soixante-sept blessures. Mais Allah rendra cette vie que Talha a donnée. Tu le verras de tes yeux, comme tous ceux de Madina. Tu es un douteur, ‘Abdallâh ibn Obbayy. Tu es un douteur. Je le sais depuis la première fois où tu as prononcé le nom du Tout-Puissant devant moi. Allah le sait aussi. Il te jugera au moment venu.
Le front d’ibn Obbayy devint couleur de lait. Les mots de l’Envoyé creusèrent le silence.
Ben Shalom montra
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