Aïcha
la porte de l’autre côté de la cour :
— Rentre chez toi, ibn Obbayy. Que l’Envoyé et Dieu te pardonnent.
Ibn Obbayy ouvrit la bouche pour protester. Le désir de cracher une nouvelle insulte incendia ses yeux. Il hésita devant les visages tournés vers lui. L’orgueil et la morgue l’emportèrent.
— Par Allah ! lança-t-il avant de se détourner. Qu’ai-je à faire du pardon de Muhammad ibn ‘Abdallâh ?
Le soir, dans ma chambre, à la lueur des lampes, mon époux sut lire mon regard. Sa paume vint sur ma nuque et ses lèvres sur mes paupières. Son baiser et sa caresse furent doux comme une ombre de printemps. Il saisit mes mains pour les poser sur son bandage :
— Mon miel, ôte mon pansement.
— Très-aimé, Hafsa l’a refait il y a peu.
— Ôte-le et dis-moi comment est la plaie.
Je restai d’abord sans voix en la découvrant.
— Ce n’est plus une plaie. Seulement une cicatrice.
— N’aie aucune crainte, Aïcha. Avant le prêche de vendredi prochain, les plaies de Talha seront aussi closes et ses yeux bien ouverts. Il n’a pas fini de servir Dieu à nos côtés. Ce que tu as vu aujourd’hui ne cessera pas avant longtemps. La vraie guerre que réclame Allah ne fait que commencer.
Il en fut ainsi.
Les plaies de Talha cessèrent de suppurer. Trois journées suffirent pour qu’elles sèchent sous les pommades. En une seule nuit, elles se refermèrent. Il ne resta que des bourrelets rose tendre et lisses comme la nacre des coquillages. Les Mekkois avaient tranché deux doigts de sa main gauche en pulvérisant son bouclier. Il ne fut pas nécessaire de les passer au fer pour éviter le pourrissement des chairs.
Lorsque Talha reprit conscience, il pleura de joie en se voyant en vie.
— Je me suis endormi en croyant me rendre au jugement d’Allah ! dit-il, riant et sanglotant tout à la fois.
Zayd lui répondit :
— Tu t’y es rendu. Dieu a prononcé Son verdict : te voilà un chahid [15] vivant.
— Ne blasphème pas !
— Ma bouche est pure. L’Envoyé te le dira lui-même. C’est lui qui nous a appris le jugement du Tout-Puissant.
Talha en fut si bouleversé qu’il manqua de défaillir à nouveau.
— Je voulais me faire pardonner de n’avoir pas défendu Allah et Son Messager à Badr !
— Tu les as défendus, et au-delà, à Uhud ! lui répondit mon époux.
À moi, quand je le revis pour la première fois, Talha dit :
— Merci, ô bien-aimée du Prophète.
Ces mots me firent rougir et je ne sus que répondre à ce remerciement. Aujourd’hui encore, je n’en comprends pas la raison. Mais le bien dont Talha ibn Ubayd Allah fut capable pour moi durant sa vie de chahid, toi qui lis ces lignes, tu le découvriras bientôt.
4.
La guérison de Talha fit grand bruit parmi les Médinois et jusqu’à Mekka. Elle s’était déroulée en tous points comme mon époux l’avait annoncé. N’était-ce pas la preuve que Dieu n’avait pas abandonné Son Prophète ? ‘Abdallâh ibn Obbayy l’hypocrite et tous les douteurs avec lui ne pouvaient plus l’ignorer. Après une preuve pareille, on aurait pu croire qu’ils seraient réduits au silence. Mais non ! Ibn Obbayy s’obstina. Pis encore, il sema ses insinuations d’un bout à l’autre de l’oasis. Pas un jour sans qu’il ne se rendît dans les cours des Banu Nadir, Banu Qurayza, Banu Aschraf, Banu Waqif. Autant de fois que ceux-ci le voulaient, il répétait ses mensonges :
— Un blessé guérit, et alors ? Ce qui était vrai hier doit l’être aujourd’hui. Muhammad a dit : « Les anges de Dieu ont volé à Badr. » Peut-être. Mais une chose est certaine : ils n’ont pas volé à Uhud. Ce sont les flèches des Mekkois qui ont volé. Et Dieu ne les a pas détournées de leur but. On pleure les morts et les blessés d’Uhud dans toutes les maisons de Madina qui n’ont pas suivi mon conseil. Que vaut un prophète sans victoire ? Si Dieu a mis des mots justes dans la bouche d’un homme avant la bataille, ce fut dans la mienne.
Les hypocrites jubilaient. Certains rabbis aussi. Ceux-là avaient cru, à notre arrivée à Madina, que le Messager les suivrait. Ne voulait-il pas, comme eux, combattre les idoles ? La défaite d’Uhud libéra leur amertume. Aux fidèles ils rabâchaient leurs reproches :
— Comment peut-il prétendre être un frère de Moïse tant qu’il ne respecte pas le shabbat, le quatrième commandement gravé sur le mont
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