Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
d'homme es-tu ! s'écria un autre. Maintenant que tu disposes de ces petits barbares aux vête ments de femme, qui font leurs petits exercices et leurs pirouettes, tu n'as plus besoin de tes soldats, de ceux qui ont conquis pour toi la moitié du monde avec leur sueur et leur sang. '
-- C'est vrai ! s'exclama un troisième. Tu les renvoies main tenant. Mais dans quel état ? Dans 1 état o˘ leurs familles te les ont confiés, il y a dix ans ? Non ! Ils étaient alors jeunes, forts, parfaits ! Et ils sont maintenant las, épuisés, blessés, mutilés, invalides. quel genre de vie les attend ? Et ceux qui ne revien- ~` dront pas ? Ceux qui ont été vaincus par le froid, sont tombés ~ dans les embuscades, se sont écrasés sur les pics montagneux, ou noyés dans les eaux menaçantes de l'Indus, ceux qui ont été
dévorés par les crocodiles, mordus par les serpents, tués par la soif et la faim dans le désert ? Penses-tu à ces hommes-là ? A leurs veuves et à leurs orphelins ? Non, sire, tu ne penses pas à eux, sinon tu n'aurais jamais conçu une action de ce genre. Nous t'avons toujours écouté, nous t'avons toujours obéi, mais à présent écoute-nous ! Nous, tes soldats, nous nous sommes réunis en assemblée et nous avons pris une décision. Tout le monde ou personne !
--que veux-tu dire ? demanda Alexandre, dont le visage s'assombrissait de plus en plus.
--Je veux dire que si tu renvoies chez eux les vétérans inva lides, tu devras nous renvoyer aussi, répondit le chef de compagnie. Oui, rentrons chez nous. Garde donc tes barbares avec leurs jolies cuirasses en lames d'or, et voyons s'ils seront capables de faire autant que nous, s'ils sauront suer sang et eau pour toi, comme nous l'avons fait. Adieu, sire. "
Les représentants des corps d'armes inclinèrent légèrement la tête avant de tourner le dos à Alexandre et de regagner le campement au pas cadencé.
Le roi bondit blême de rage, et lança aux cavaliers de sa garde personneile: " Est-ce donc ce que vous pensez, vous aussi ? "
Le commandant garda le silence.
" Est-ce donc ce que vous pensez, vous aussi? répéta-t-il.
--Nous sommes de l'avis de nos compagnons, sire, lui répondit-il.
--Alors, allez-vous-en, je vous dispense de votre service, je n'ai plus besoin de vous. "
Le commandant hocha la tête, puis il rassembla ses cava liers et les ramena au camp au galop.
Un peu plus tard, un groupe de Successeurs s'installa à leur place, devant le pavillon royal, arborant des armures étince lantes, des robes ouvragées, des étendards de pourpre et d'or.
Les deux jours qui suivirent, Alexandre refusa de voir ses soldats et s'abstint de leur communiquer ses décisions. Mais son geste avait plongé
tout le monde dans la consternation.
Ses hommes avaient le sentiment d'être comme un troupeau sans berger, comme des enfants sans père, seuls au coeur d'un pays immense, qu'ils avaient conquis et qui les regardait maintenant avec compassion et dérision. Un sentiment préva lait entre tous: la douleur d'avoir été privés de la présence du roi, la pensée qu'il allait projeter de nouvelles entreprises, ferait d'autres rêves, se lancerait dans des aventures extraor dinaires, sans eux. La douleur de ne plus le voi~, de perdre la familiarité qui caractérisait leurs rapports, de perdre jusqu'à ces rapports.
Deux jours s'écoulèrent, et le roi ne se montrait toujours pas. Le troisième jour, certains soldats dirent: " Nous avons mal agi. Au fond, il nous a toujours aimés, il a souffert autant
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que nous, il a mangé la même nourriture que nous, a été blessé plus que quiconque, nous a comblés de présents et de faveurs. Allons le trouver et demandons-lui pardon. "
D'autres éclatèrent de rire: " Oui, oui, allez donc vous faire botter le cul !
-- C'est possiblè, poursuivit l'homme qui avait pris la parole le premier. Mais j'irai quand même. Toi, fais ce que tu veux. "
Il se débarrassa de ses armes et quitta le campement pieds nus, vêtu de son seul chiton. quelques hommes l'imitèrent, puis d'autres encore, et ce fut bientôt la moitié de l'armée qui se présenta au pavillon royal, sous le regard stupéfait des gardes perses.
Cratère, qui passait par là, les vit. Tout comme Ptolémée qui rentrait d'une mission le long du Tigre. Celui-ci demanda à son ami: " que se passe-t-il ? " et pénétra à ses côtés sous la tente du roi.
" Alexandre, dit Cratère. Il y a
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