Alias Caracalla
héroïque Béarnais. Seul
Britannique parmi nous, le lieutenant Robert Seeds,
officier de liaison, est irlandais. Ce grand garçon
d’aspect juvénile ressemble aux adolescents d’Oxford
ou de Cambridge, héros de la Royal Air Force, dont
les visages héroïques illustrent les journaux.
Son père, ancien ambassadeur à Moscou, a pris sa
retraite à Lymington, dans une propriété des environs. Un mouchoir en cachemire dépasse de sa
manche gauche : j’y vois le comble de l’élégance
insulaire.
Seeds, très cultivé, se montre curieux de tout.
Pourtant, un détail me surprend : son français de bon
aloi est truffé d’expressions argotiques qu’il prononce avec un fort accent marseillais : pendant la
drôle de guerre, il était officier de liaison des troupes britanniques stationnées à Marseille.
Nous sympathisons sans tarder.
Un jour qu’il critique les anciens combattants
britanniques, je lui explique combien les jeunes
Français sont dépréciés par leurs aînés qui ont participé à cette tragique aventure. Il m’écoute en riant :
« Heureusement la guerre est enfin arrivée. » Après
un silence : « J’ai été vachement déçu. » Son accent
marseillais d’Oxford fait le reste.
Lundi 18 août 1941
Qu’est-ce qu’un saboteur ?
Le lieutenant Vignes est chargé de nous donner
une formation d’instructeur en armement et de saboteur tous azimuts. Il dirige la station, nom donné
par le SOE ( Special Operations Executive ) aux propriétés qui nous accueillent pour l’entraînement,
d’une poigne de fer.
Âgé d’environ vingt-cinq ans, il s’exprime avec un
accent bigourdan qu’il manie avec art. Trompe-la-mort héroïque, il a commandé un corps franc sur le
front de l’Est en 1939. Plusieurs fois blessé, il est
décoré de la croix de guerre avec palmes et d’une
Légion d’honneur, qui nous éblouit.
Dès notre arrivée, il nous réunit sur la pelouse.
Entouré de deux instructeurs, il nous explique qu’il
va nous préparer à notre mission, mais ne souffle
mot de sa nature. Il ajoute que nous sommes ici pour
nous entraîner au combat et non pour batifoler
comme des collégiens : nous devons donc abandonner
nos habitudes de paresse et de désordre. Ça commence bien pour des évadés de la dernière chance…
Ce stage imprévu d’une durée indéterminée est
une nouvelle déception, car il va retarder d’autant
notre départ. Toutefois, personne ne pose la question qui nous hante tous : quand ? Les instructeurs
et Vignes lui-même semblent ignorer notre rôle précis et notre destination.
Le lieutenant décrit les grandes lignes du programme : interception de correspondances de la
poste ; photographie de documents ; écoute de
conversations téléphoniques ; sabotage de transformateurs, écluses, barrages, ponts, voies de chemin
de fer ; destruction de camions, wagons, locomotives, avions ; organisation d’atterrissages et de décollages d’avions dans la nature ; fracture de portes et
fenêtres ; éventration de coffres-forts ; exécution de
marches nocturnes à la boussole à travers champs ;
franchissement de rivières à la nage ; meurtre au
poignard ou au pistolet silencieux de sentinelles, soldats ou officiers allemands…
La plupart de ces opérations doivent s’accomplir
seul.
Cet apprentissage peu orthodoxe précise les
contours de notre mission, annonçant même, selon
les plus optimistes, la bataille prochaine. Notre moral
remonte d’un coup. Nous retrouvons un peu de la
fièvre de l’été de 1940.
Jeudi 28 août 1941
Lettre d’Yves Guéna
La première lettre que je reçois d’Old Dean, à mon
nouveau code postal, m’est adressée par Yves Guéna.Hélas ! il me fait part du jugement négatif de mes
camarades sur les dix volontaires du BCRA.
En le quittant, je lui avais menti en lui annonçant
ma mutation au service politique de Londres. Il a
cru que je m’étais « planqué » :
Je ne te jette pas la pierre comme trop de gens
le font ici. Mais une activité de ce genre ne me
plaît point. Tu prépares le second acte, soit ; mais
laisse-moi préparer le premier. Évidemment, je
comprends qu’intelligent et actif comme tu l’es,
tu aies cru devoir quitter le troupeau idiot qui se
fait tuer sans savoir pourquoi.
Mais je suis persuadé que notre présence ici
est surtout un geste qui doit être mené jusqu’au
bout pour conserver toute sa valeur. Je suis peut-être trop jeune
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