Alias Caracalla
d’entraînement, nous
abordons la séquence la plus délicate : le sabotage,
couronnement de notre stage. L’instructeur nous
exhorte à la prudence, tant la manipulation d’explosifs peut se révéler dangereuse.
L’enseignement comporte deux volets : théorie
(distinguer les différents types d’explosifs, composition, effets) et pratique (expériences dans le parc
avec divers matériaux).
La vedette de cet armement spécial est le plastic,
qui a la consistance et la couleur du mastic : insensible aux chocs, il est parfait pour les parachutages,
le transport et les manipulations. Sa divisibilité infinie facilite en outre grandement sa mise en place.
Nous expérimentons d’autres explosifs : la dynamiteet, surtout, l’étrange nitroglycérine : une seule goutte
tombant sur le sol explose comme un pétard d’enfant.
Dans le parc, un segment de rail identique à celui
d’une voie ferrée nous permet de nous initier aux
différentes façons de placer nos charges. Pour les
faire exploser, nous enfonçons le détonateur au centre de l’explosif. Le crayon-minute est composé d’une
ampoule de fulminate de mercure, traversée par un
fil d’acier retenu par un ressort bandé qui commande
le détonateur. Avant de placer la charge, nous devons
écraser l’ampoule entre nos doigts afin que le fulminate entre en contact avec le fil. En un temps programmé, il le ronge, libérant le ressort du détonateur,
qui frappe une amorce et fait sauter l’explosif.
Le plus délicat est l’évaluation du temps nécessaire à la rupture du fil. En dépit des étiquettes sur
le crayon-minute indiquant la durée de la mise à
feu — de quelques minutes à plusieurs heures —,
celle-ci demeure incertaine. Lorsque les charges
sont appliquées sur certains objets (transformateur,
barrage, locomotive), le temps qui précède l’explosion n’a aucune importance. En revanche, lorsqu’il
s’agit du passage d’un convoi de camions ou de
trains, le succès dépend de la coïncidence exacte de
la mise à feu avec leur passage.
Un des exercices prévus pour attaquer notre morceau de voie ferrée exige que nous soyons embusqués derrière un muret séparant le parc et la terrasse
de la maison. Au coup de sifflet nous devons, chacun à notre tour, courir vers les rails situés à deux
cents mètres : placer le plastic, loger le crayon, écraser l’ampoule, puis regagner notre cachette.
Chacun de nous a une manière particulière d’escalader le muret. Certains prennent leur élan et sautent à pieds joints, d’autres jettent une jambe aprèsl’autre. Quant à moi, je l’effectue en deux temps : je
place mon pied sur le sommet du muret puis, prenant appui sur ma jambe, passe de l’autre côté.
J’ai souvent effectué l’exercice sans encombre.
Mais cette fois — est-ce la fatigue ? la distraction ? —
je calcule mal mon élan, et seule l’extrémité de ma
chaussure touche le rebord du muret. Lorsque je
veux prendre appui, mon pied glisse, et mon genou
racle la bordure en brique, ouvrant la cicatrice du
saut en parachute.
Je saigne abondamment. Je suis d’abord conduit
à l’infirmerie d’Inchmery, où l’on m’asperge d’eau
oxygénée, puis le lieutenant Seeds me fait accompagner à l’hôpital de Lymington. Après avoir saupoudré la plaie de sulfamides, le chirurgien me recoud
sur plusieurs centimètres, et j’en suis quitte pour
quatre jours d’hôpital. Grâce aux calmants, je ne
souffre nullement. J’ai même le bonheur d’être dorloté par des nurses aux petits soins pour cette curiosité : un Free French .
Je me garde bien de leur avouer l’origine de ma
blessure.
Après plus de trois mois passés à Inchmery, je
commence à entrevoir ma future mission. Toutefois,
je ne saisis pas bien le lien entre interception du courrier, atterrissages d’avions et plasticage de locomotives. Afin de mieux comprendre l’action clandestine,
je scrute les informations relatées par France . Cette
tentative pour déchiffrer mon destin exige beaucoup d’imagination tant les renseignements sont
rares et laconiques.
Des entrefilets révèlent périodiquement l’arrestation de communistes après des distributions de tracts.
Mais les communistes sont des militants politiques
préparant la révolution bolchevique, et je ne les
considère pas comme des patriotes anti-Boches.
Les attentats d’octobre 1941 contre des officiers
allemands ressemblent plus à mes projets et
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