Alias Caracalla
Free French en convalescence. Ma première émission
est une épreuve. Après avoir installé l’antenne en travers de la pièce, allumé le poste à l’heure dite et
recherché le signal en morse sur les ondes, ma tête est
vide : j’ai tout oublié ! Pourtant, à Thame Park, j’ai
répété mécaniquement la procédure des dizaines de
fois.
Lorsque, après avoir lancé « en l’air » mon indicatif, j’écoute la réponse, je n’entends qu’un brouillard
d’émissions radio inaudibles. J’ai le sentiment de
me noyer. Je suis convaincu que personne n’écoute,
car je n’arrive pas à distinguer, parmi l’inextricable
fouillis des cliquetis, celui qui m’est destiné.
Soudain, je reconnais l’indicatif de la Home Station qui m’accuse réception. Tout s’enchaîne ensuite facilement, et je retrouve d’un coup toutes mes habitudes. Je passe le message que j’ai préalablement codé
avec les informations réclamées sur les conditions
de mon arrivée. Après quoi, je réceptionne deux
télégrammes, que je décode aussitôt.
L’un d’eux me désigne la Manchester Art Gallery
(musée de la ville) comme point de départ de ma
mission. Je dois récupérer un message caché derrière un petit tableau accroché à l’entrée d’une des
salles du musée, sur le mur de droite. Comme tous
les musées, celui-ci est désert et possède peu de gardiens, sans parler des contrôles vidéo ni des alarmes électroniques, inexistants.
Je m’y rends le matin, dès l’ouverture. Après avoir
traversé les salles silencieuses, je trouve facilement
le tableau derrière lequel est dissimulé le message
caché. Je rentre chez mes hôtes et code un télégramme, que j’expédie aussitôt. Je reçois en échange
un autre télégramme à décoder et à porter au musée
dans une autre salle, derrière un autre tableau.
Bien que ce ne soit que ma seconde visite dans
un musée, je ne regarde rien, soucieux d’accomplir
ma mission. Lorsque j’ai fini ma transmission, il est
3 heures. J’ai l’après-midi pour tenter de recueillir
en ville les informations réclamées.
D’après un plan de la ville, je situe facilement les
bâtiments que l’on m’a signalés comme étant ceux
de l’armée allemande. À ma surprise, ils correspondent à ceux de la police. J’écarquille les yeux pour
tenter de glaner des informations sur le personnel,
les voitures, les secrétaires, etc.
Le résultat n’est guère consistant, mais je rédige
quand même deux télégrammes, que je transmets
lors de mon contact, à 2 heures du matin. Heureusement, j’ai emporté un réveil qui ne me quitte pas
depuis que je suis officier.
En réponse, la Home Station désigne de nouveauxlieux où déposer de nouveaux messages. Elle me
réclame en outre différentes informations sur des
usines situées en banlieue. Les jours suivants consistent en des variantes de ces exercices. Est-ce parce
que je suis en permanence sur mes gardes ? Mon
séjour se déroule sans incident et retrouve l’aisance
des exercices d’école. Finalement, je franchis sans
accroc toutes les épreuves. Je suis content de moi.
J’ai tort. Le jour de mon départ, je me rends une
dernière fois au musée pour chercher un ultime
message. Tout à coup survient un gardien qui me
dévisage aimablement : « C’est curieux comme les
Français aiment ce tableau : vous êtes le sixième à
venir tous les jours. » J’acquiesce en souriant, tout
en maudissant l’humour britannique.
Je n’ai plus qu’à rentrer à Thame Park sans me faire
remarquer. Cela fait également partie de l’épreuve.
Les Britanniques ne badinent pas avec les espions,
et leur surveillance invisible est d’une grande efficacité. Cheveigné a été arrêté au cours d’un contrôle
dans une gare et emmené au commissariat avec son
poste.
Les émissions radio alternent avec des exercices
de sécurité, spécialement la filature. Alternativement,
je suis le chasseur et le gibier : suivre ou être suivi.
L’exercice consiste à surveiller des inconnus, femmes ou hommes, que mon correspondant me désigne
dans la rue. Je dois les suivre dans leurs déplacements, noter leurs rencontres, décrire les interlocuteurs qu’ils croisent et les lieux où ils séjournent
(restaurants, cafés), puis rédiger un rapport.
Mon premier « client » est un homme aux cheveuxblancs. Il porte une grosse moustache, fume la pipe
et est habillé d’un costume à carreaux voyants.
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