Alias Caracalla
de l’URSS dans le camp allié.
Cela choque mes convictions à cause du danger
de révolution future, même si je suis maintenant
d’accord avec le Général pour la condamnation de
la politique de Maurras : « La France seule était un
crime, car cette guerre était un choix, et l’on ne
pouvait mettre sur le même plan les Allemands et
les Anglais. »
Le Général est bouleversant lorsqu’il évoque lesbatailles de mes camarades, dont la plus récente,
Bir Hakeim, est la gloire de la France libre :
Alors, notre tâche finie, notre rôle effacé, après
tous ceux qui l’ont servie depuis l’aurore de son
histoire, avant tous ceux qui la serviront dans
son éternel avenir, nous dirons à la France, simplement, comme Péguy : « Mère, voici vos fils,
qui se sont tant battus 1 . »
J’applaudis mon chef avec l’enthousiasme de ma
jeunesse. Par la magie de son verbe, il m’arrache aux
morosités de l’exil, à ma rage de ne pas combattre.
Avant la fin de la cérémonie, je sors avec le groupe
du BCRA afin d’éviter nos anciens camarades.
Dehors, il fait jour. Je propose à Briant de nous promener dans Hyde Park pour profiter de la douceur
des premiers jours de l’été.
Tout en marchant dans les allées peuplées d’amoureux, de promeneurs attardés et de cavaliers, nous
tentons de nous souvenir de certaines formules du
discours. Nous sommes transportés par l’exorde, et
spécialement la diction singulière du Général :
Chamfort disait : « Les raisonnables ont duré.
Les passionnés ont vécu ! » Voici deux ans que
la France, livrée et trahie à Bordeaux, continue
cependant la guerre, par les armes, les territoires,
l’esprit de la France combattante. Pendant ces deux
années, nous avons beaucoup vécu, car nous sommes des passionnés. Mais aussi, nous avons
duré. Ah ! que nous sommes raisonnables !
Cette dernière phrase, surtout le « Ah ! » théâtral de
De Gaulle, nous la prononçons à l’unisson, en imitant
sa voix caverneuse. Elle nous fait rire comme des
enfants. Tout en déambulant, nous la répétons à voix
haute. Elle devient notre mot depasse 2 .
Vendredi 19 juin 1942
La guerre est-elle finie ?
Cloué à Londres, je vis depuis des semaines des
vacances sacrilèges. Le monde est à feu et à sang, et
je me veux un volontaire de l’extrême. Pourtant, mes
seules activités sont le canotage sur la Serpentine et
les dîners dans les palaces au son d’orchestres de
danse.
Nos soirées au cinéma, au concert, au théâtreprécèdent un sommeil paisible, préparant un lendemain de farniente . Cette vie faussement comblée
provoque une érosion intérieure : je me désagrège.
D’autant plus que les journaux annoncent l’ouverture
prochaine d’un second front : visite de Churchill à
Moscou et à Washington, accord Molotov-Eden, etc.
Anthony Eden, ministre des Affaires étrangères, a
déclaré aux Communes, à propos de son voyage à
Moscou : « Un plein accord a été réalisé sur les
tâches urgentes à entreprendre en vue de la création d’un second front en Europe en 1942. » 1942 !
Nous sommes mi-juin : c’est donc pour demain ! Le
quotidien France joue un rôle majeur dans l’établissement de ma certitude.
Tout a commencé le 27 mars par le récit d’un raid
britannique sur Saint-Nazaire. Le détail de cette
opération occupe la première page du journal : deux
cent cinquante hommes, soutenus par la marine et
l’aviation, ont détruit une cale sèche pour sous-marins. Une partie de la population s’est soulevée.
Cela s’est passé durant mon stage à Thame Park.
Je suis persuadé que j’ai été entraîné pour ce type
d’opération. Marque-t-il le début de la reconquête
de la France ? Enfermé dans mon obsession d’en
découdre, je lis : « Depuis que Staline a déclaré qu’il
était possible de gagner la guerre en 1942 si les Anglo-Saxons constituaient un deuxième front en Europe
[…], si la guerre peut être gagnée en 1942, aucun
sacrifice n’est trop grand. »
Le 4 mai, la BBC avait diffusé une émission de
Jacques Duchesne, commentant les paroles de l’amiral américain Harold Stark, commandant des forces navales américaines dans la zone européenne :
« Je suis en faveur d’un second front, ou d’un troisième où que ce soit et dès que nous serons en
mesure de prendre l’offensive. »
Non seulement la presse britannique commente
ces paroles, mais elle fait
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