Alias Caracalla
désastre.
Plus la guerre dure, plus je suis écartelé entre mes
anciennes convictions et mon engagement, qui en
est la négation. Ce déchirement ressemble à la lutte
entre le bien et le mal à l’intérieur d’une conscience
religieuse.
J’entends le rire de Briant que j’aime tant : « Tu
oublies que, dans l’expérience religieuse, tu es seul
responsable vis-à-vis de Dieu. Tes actes concernent
la seule éternité. En politique, tes actes influent sur
des millions de gens. C’est devant eux que tu es
comptable de tes erreurs. Ils ne sont pas Dieu, ils
n’ont aucune raison de te pardonner. »
Souvent, chez Briant, je sens une grande sévérité
à mon égard. Je me demande si cela ne frôle pas parfois le mépris.
----
1 . Special Training School.
2 . Elle faisait partie de l’immense propriété voisine des
Rothschild, qui l’avaient prêtée à la France libre.
3 . Venant d’un camarade que j’estimais et dont j’étais l’ami, ce
jugement m’avait chagriné, bien qu’il n’ébranlât en rien mon choix.
Redécouvrant cette lettre aujourd’hui, elle attise un regret : si c’était
à refaire, je ne le referais pas. Je m’étais engagé pour « tuer du
Boche ». Hélas, je n’en ai tué aucun. Je n’ai pas fait la vraie guerre.
Peut-être est-ce une raison pour laquelle, avant 1977 et ma défense
de Jean Moulin, je ne l’ai jamais évoqué.
4 . Nous étions munis d’un laissez-passer destiné aux forces britanniques, expliquant que nous étions des parachutistes à l’entraînement. À l’école, nous portions nos uniformes, de même que pour
tous les exercices nocturnes dans les champs et bois environnants.
5 . René-Georges Weill.
6 . Rake a raconté sa mission dans Le Chagrin et la Pitié , de
Marcel Ophüls, film dans lequel il joue son propre rôle. Envoyé à
Paris comme radio, il est tombé amoureux d’un officier allemand.
Malheureux de le trahir en cachant sa mission, il a décidé de révéler la vérité à son chef du SOE, Buckmaster, qui a « compris » et
l’a fait rentrer en Angleterre.
VIII
REVOIR LA FRANCE ?
18 juin-24 juillet 1942
Jeudi 18 juin 1942
Anniversaire de l’espérance
Ce matin, le téléphone sonne dans ma chambre.
C’est le capitaine * Bienvenue : « J’ai une bonne nouvelle pour vous. » Mon cœur bat à rompre : partir,
enfin !
« Vous êtes invité à l’Albert Hall ce soir, à 6 heures, pour écouter le général de Gaulle. Mettez-vous
en uniforme. »
Depuis 1941, le Général convoque périodiquement à l’Albert Hall quelques centaines de volontaires basés en Angleterre. Les discours qu’il prononce
en ces occasions jalonnent l’histoire de la France
libre : chaque fois, il y trace le programme d’une
nouvelle étape vers la victoire.
Ce soir, « 725 e jour de la lutte du peuple français
pour sa libération », comme l’annonce le calicot
peint au-dessous de l’estrade, nous commémorons
le deuxième anniversaire de l’appel du 18 Juin, le
seul discours du Général qu’aucun volontaire n’a
entendu.
Comme d’habitude, l’hémicycle est occupé pardes Français habitant la Grande-Bretagne, des délégations des différentes armes et quelques volontaires du BCRA. * Bienvenue nous a demandé de ne
pas revoir nos anciens camarades. Il nous fait entrer
les derniers et nous installe aux places habituelles,
dans les loges.
Les membres du Comité national français (CNF)
arrivent, précédés par le Général, et gagnent l’estrade.
Je ne reconnais que le professeur René Cassin, à
cause de sa barbe.
Après l’ouverture de la séance par Maurice
Schumann, notre porte-parole à la BBC, le général de
Gaulle s’approche du micro. Je ne l’ai pas « revu »
depuis novembre 1941. Il énonce d’abord ses thèmes familiers : passion pour la France, condamnation de Vichy, organisation de la vengeance, place
de la France libre dans la libération nationale : en
un mot, notre raison d’être.
Un passage de son discours évoque les journaux
clandestins, Combat , Franc-Tireur et Libération .
Depuis quelques mois, de Gaulle esquisse une
politique de la Libération : refaire la France avec
tous les Français, c’est-à-dire accepter toutes les
oppositions pour que la nation puisse vivre dans sa
force et sa grandeur. Cela implique l’alliance avec les
communistes, qui, sur le plan international, s’incarne
par la présence
Weitere Kostenlose Bücher