Alias Caracalla

à celles de tous
les autres, que chacun soit respecté par tous et
aidé s’il en a besoin.

    Briant triomphe : « Tu vois, de Gaulle est sans
ambiguïté. Il refuse le régime coupable de la défaite.

    — C’est la deuxième partie que je ne trouve pas
rassurante.

    — Pourquoi ?

    — De Gaulle ne prononce pas le mot, mais il
annonce le retour de la République.

    — J’ai l’impression que tu habilles ta pensée avec
de vieux oripeaux sans avoir conscience qu’ils sont
désormais un déguisement pour l’homme que tu es
devenu. Comme nous tous, tu as changé. Y crois-tu
encore ? Je pense que tu n’as jamais vraiment réglé
ton conflit entre Maurras et Gide. Si tu veux mon
avis, tu n’as jamais été maurrassien : tu es un anarchiste viscéral. »

    Il me regarde avec cette indulgence amusée qui
marque la pudeur de son affection : « Ou plutôt un
protestant ! »

    Je suis désarmé par cette tirade imprévue, qui
m’évoque, par sa lucidité, sa franchise et son affection, celles, lointaines, d’André Marmissolle et rejoint
celle du capitaine * Georges à Inchmery.

    À quoi bon tricher ? Je sais qu’il dit vrai. Commel’atteste mon journal, jour après jour, insensiblement, par saccades, j’ai changé.

    Jeudi 25 juin 1942

     

    Nom de code * Bip.W

    Malgré les conseils de * Bienvenue, j’ai peu dormi
cette nuit. Éveillé avec le jour, je suis prêt longtemps
avant le rendez-vous. D’habitude, j’envie le flegme
de Briant. Je suis rassuré de le voir dans un état
d’excitation semblable au mien.

    C’est aujourd’hui un douloureux anniversaire : en
1940, tandis que j’abordais l’Angleterre en émigré
démuni, l’armistice était signé.

    Après avoir déposé mes affaires à la consigne, je
frappe à 8 heures à la porte du capitaine. En entrant,
j’aperçois un dossier posé sur son bureau : « Vous
serez parachuté près de Montluçon en compagnie
de Briant et d’Ayral. Paul Schmidt [un camarade de
1940], dont le nom de code est * Kim, vous réceptionnera. Votre mission est d’être le radio et le secrétaire
de Georges Bidault. »

    Je pâlis en entendant ce nom  : L’Action française n’a
cessé de dénoncer ce démocrate populaire comme
un des responsables de la décadence française.
Durant la guerre civile espagnole, il a été partisan
des « rouges » contre Franco.

    La capitaine * Bienvenue, surpris de mon silence,
m’en demande la raison. J’explique mon désarroi.
« Mais de quoi parlez-vous ? réplique-t-il. Il n’y a que
deux camps : les patriotes et les traîtres. L’urgence
aujourd’hui est de rassembler du bon côté les
Français de toutes opinions. »

    Il m’explique ensuite ma mission : « Georges
Bidault dirige une agence de presse clandestine, le
Bureau d’information et de presse. Le nom de code
de Bidault est donc * Bip et le vôtre * Bip.W. Si l’un
des officiers de liaison avec les mouvements a besoin
de vous pour effectuer des opérations de parachutage
ou de sabotage, vous serez aussi à sa disposition.
Voici vos faux papiers d’identité (permis de conduire,
carte d’alimentation au nom de Charles Daguerre,
journaliste), ainsi que vos numéros de codes français et anglais et votre schedule . »

    *Bienvenue m’explique que Schmidt a préparé
notre opération et nous attend ce soir sur le terrain.
Il me conduira chez Bidault. Auparavant, il nous présentera à * Rex 3 , représentant du général de Gaulle
en France et chef des agents du Service action en
mission. En ce qui concerne mes relations avec le
BCRA, c’est à lui que j’obéirai.

    « Dès votre première rencontre, vous lui remettrez
en main propre cette grande enveloppe. Elle contient
les directives et le budget du mois de juin. Ne vous
en séparez sous aucun prétexte. Avant le dîner, vous
la placerez sous votre chemise, car les Anglais doivent ignorer ce que vous transportez. Si, à l’arrivée,
vous êtes en danger, détruisez immédiatement ce
courrier. »

    Il ajoute : « Une voiture vous conduira à Cambridge,
où vous aurez quartier libre tout l’après-midi.
Détendez-vous : vous allez vivre une nuit blanche,
et il faut que vous soyez en forme à l’arrivée. Je vous
rappelle que votre mission est secrète. Vous ne devez
en parler à personne, même pas à vos coéquipiers.
Je viendrai dîner ce soir avec vous à Cambridge. »

    Il me confie à l’un de ses adjoints, qui me désigne,
sur une carte