Alias Caracalla
neveu de Georges Bernanos. Tous deux
travaillent à Radio-Gaulle, une petite station pirate
censée émettre clandestinement en France occupée.
Je l’ai écoutée quelquefois et ai apprécié la violence
des attaques contre Vichy et les Boches, qui tranche
avec le ton gourmé de la BBC.
Comme chaque fois que je rencontre un ancien
camarade d’Old Dean, je suis muet sur mon activité,
révélée par mon costume civil. Ils ne me posent,
cependant, aucune question.
La conversation court sur les petites Anglaises,
l’évolution de la guerre, les nouvelles de France et
la vie du mouvement. Ces dernières semaines, nous
rayonnons de la gloire de Bir Hakeim.
Bien que Vourc’h ait assisté, le 17 juin, au rassemblement de l’Albert Hall, je ne l’ai pas remarqué. Nous
commentons le discours prononcé par le Général.
Je résume mon sentiment en citant la réflexion d’un
de mes camarades : « Ce qu’il y a de bien avec de
Gaulle, c’est qu’il est d’accord avec nous ! »
J’ai la surprise de voir le visage de Vourc’h se fermer : « Comment peux-tu dire une chose pareille.
Tu es tombé dans le piège de la propagande. Cet
homme est un menteur uniquement préoccupé de
sa gloire. C’est un Machiavel qui ne croit pas un
mot de ce qu’il dit. Sa seule ambition est d’établir
son pouvoir personnel en France grâce à la victoire
des Alliés. »
Quel coup de tonnerre ! Jamais, je n’ai entendu
un tel sacrilège. Aucun d’entre nous n’aurait osé parler du « grand Charles » sur ce ton. Depuis juillet
1940, comme la plupart de mes camarades, ses discours sont ma pensée.
Curieusement, notre interprétation est contradictoire : là où je crains la République, Vourc’h hurle à
la dictature. Quoi qu’il en soit, j’admire mon général pour sa défense de la grandeur et des intérêts
de la France. Vourc’h prétend que ce n’est qu’une
façade : « Tu ignores la vérité sur les complots d’état-major et ce qu’ils préparent pour la France. Demande
à Hattu, il t’expliquera qui est de Gaulle. »
Hattu est un officier de marine fidèle à l’amiral
Muselier. Il y a quelques mois, j’ai appris par France le départ de l’amiral du Comité national français
mais n’y ai guère prêté attention. La marine est pour
moi une terra incognita . Au cours d’un de ses séjours
à Londres, Briant a eu connaissance d’un affrontement dramatique entre le Général et l’amiral. Personne n’en connaît les détails, et son récit m’a laissé
indifférent.
Hattu est plus explicite : « L’affaire est grave.
L’affrontement entre l’amiral et de Gaulle n’est pas
d’ordre privé, mais politique. À ce titre, il engage
l’avenir. Les Britanniques ont décerné au Général le
titre de “commandant en chef des Forces françaises
libres”. En septembre 1941, de Gaulle a créé le
Comité national français et s’est octroyé la présidence de cette institution. Puisque le CNF est considéré comme le gouvernement légitime de la France,
tous les problèmes devraient être discutés avec les
commissaires nationaux. Or il n’en est rien. De
Gaulle se conduit en maître absolu. Il accuse
Pétain d’être un dictateur, mais il prendra sa succession. »
Ni mes camarades ni moi n’avons réfléchi à la
différence entre le rôle de commandant en chef des
FFL et celui de président du CNF. Dans l’état désespéré de la France, ce distinguo nous semble vain.
C’est ce que je tente d’expliquer à Hattu : « Notre
devoir est de libérer la France ; après on verra.
— Après il sera trop tard.
— Ce qui a perdu la France républicaine, c’est de
ne pas avoir un chef qui l’incarne et la dirige. Maintenant qu’elle en a trouvé un qui la conduit à la victoire, je m’en réjouis.
— D’abord, nous ne nous battons pas pour un
“chef”, comme tu dis, mais pour la République et
pour la France.
— La France, oui ; la République, non !
— C’est une attitude fasciste ! Pourquoi es-tu là ?
— Je ne suis pas fasciste, mais la République a
conduit la France au désastre le plus radical de son
histoire. C’est un fait. Je ne sais pas de quel régime
elle a besoin, mais en tout cas pas de la “démocrassouille” qui l’a ruinée. Je suis un soldat, et j’ai trouvéen de Gaulle un chef qui commande et qui pense
français. Pourquoi ne pas l’avouer : je l’admire. »
Je ne suis pas loin d’injurier mes
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