Alias Caracalla

une
lune de théâtre.

    Silencieux sur la banquette arrière, nous sommes
aux aguets. Instinctivement, j’ai plongé la main dans
la poche de ma veste, serrant la crosse de mon revolver. J’observe les bas-côtés du chemin, qui rejoint
bientôt une route goudronnée. Après quelques kilomètres, les premiers immeubles de Montluçon apparaissent.

    Arrivés dans les faubourgs, nous nous arrêtons
devant une maison, où nous sommes accueillis par
un couple de quinquagénaires. Un doigt sur les lèvres,
ils nous font signe de les suivre au premier étage.

    Dès qu’ils se retirent, Briant pose son revolver sur
la table de nuit et se met à genoux au pied du lit
pour faire sa prière. Je vais me brosser les dents puis
m’allonge sur le lit. Je suis à moitié endormi lorsqu’il
s’installe à mes côtés.

    Les lueurs de l’aube glissent à travers les persiennes. Il est 4 heures du matin.

    ----
    1 .   J’ignorais ce jour-là que ce discours anniversaire était le testament de notre épopée. Ce fut, en effet, avec mes camarades de
1940, notre dernière réunion de Français libres. Quelques jours
après, notre mouvement changeait de nom pour devenir la France
combattante. Un an plus tard, le 1 er  juin 1943, il était dissous, et de
Gaulle devenait, avec le général Giraud, coprésident du gouvernement d’Alger. L’aventure solitaire des volontaires de 1940 s’achevait avec le retour de l’armée française dans la guerre. Lorsque, en
mai 1944, je rentrai à Londres après avoir achevé ma mission, je
ne connaissais plus personne au BCRA. Nous étions à peine une
douzaine de rescapés de juin 1940, remplacés par quelques centaines d’officiers de l’armée d’armistice, qui occupaient les postes :
nous les méprisions pour leur lâcheté.
    2 .   Dans les jours qui suivirent, nous trouvâmes souvent l’occasion de nous exclamer : « Ah ! que nous sommes raisonnables ! »
— faisant sonner le « Ah ! » comme un cri d’espérance. Cette familiarité moqueuse avec notre chef peut paraître irrespectueuse. En
réalité, elle était notre lien secret avec de Gaulle et le ressort de
notre discipline. Nous l’admirions avec une affection —  pourquoi
ne pas le dire ? — que nous aurions eu honte d’avouer. Bien que
nous fussions devenus des hommes, nous étions encore prisonniers de la pudeur ombrageuse des enfants.
    3 .   Jean Moulin.
    4 .   Le plus petit poste émetteur-récepteur du monde et le premier
de ce type expédié en France.
    5 .   Abréviation de Flakartillerie , la défense antiaérienne allemande.
    6 .   Le 8 octobre 1990, le général Mairal-Bernard me transmit la
note suivante : « Vous avez été parachuté le 26 juillet 1942 sur le
terrain de Coursage, près de Montluçon (10 km au sud-ouest).
L’équipe de parachutage comprenait : Tronche (chef de la COPA),
Kaan, le Dr Billaud, Favardin et Ribière. Tous sont décédés sauf
Ribière, dont le frère Henri fut fondateur de Libé Nord. Ribière
se souvient très bien de ce parachutage, qui a été marqué par un
incident. L’un de vos amis [Jean Ayral] serait arrivé sur la tête
et le Dr Billaud l’aurait soigné. Vous avez été hébergé chez
M. Vimal, employé SNCF qui habitait avenue de Néris, à Montluçon,
entre deux ponts de voies ferrées, celle de Montluçon à Lyon et
celle de Montluçon à Clermont, et à proximité de la voie Montluçon-Eygurde. M. Vimal est décédé. Pour Pierre Kaan, professeur de philosophie au lycée de Montluçon, vous voudrez bien trouver ci-joint deux articles écrits le 18 juin 1982 pour célébrer sa
mémoire. »

 
    III

     

    LYON

IX

     

    *REX, MON PATRON

     

    26 juillet-17 août 1942

    Dimanche 26 juillet 1942

     

    Un dimanche à Montluçon

    Lorsque nous nous réveillons, la grosse fatigue de
la nuit ne résiste pas à l’excitation du retour au pays.
Mon premier geste est d’aller à la fenêtre. Nos hôtes
nous ayant recommandé de ne pas ouvrir les volets,
c’est à travers les persiennes que je découvre une
avenue déserte qui, une centaine de mètres plus loin,
passe sous un aqueduc.

    Nous achevons notre toilette lorsque la maîtresse
de maison frappe à la porte et nous convie au petit
déjeuner. En dépit de ma curiosité, j’applique la règle
de la clandestinité recommandée par * Bienvenue : no
question .

    Ma mission commence. Je suis conscient des risques extrêmes pris par ce couple paisible qui