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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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camarades.
Hattu est le plus agressif, car entre Vourc’h et moi
s’interpose l’amitié. Cela n’empêche pas ce dernier
de lancer : « Non seulement le Général ne sacrifie
rien, mais il utilise la France comme marchepied
pour son ambition. Plus grave encore, son expérience politique est nulle. Il nous a brouillés avec les
Américains, qui nous méprisent. À plusieurs reprises, il a failli se séparer des Anglais. Churchill ne
veut plus le voir après la guérilla qu’il a menée contre
lui en Syrie. Tout cela risque de mal finir pour notre
mouvement et pour la France. »

    Je trouve sacrilèges ces critiques haineuses. Lorsque Vourc’h croit bon d’ajouter, en criant presque,
que « de Gaulle, c’est Franco », je lui réponds du
tac au tac : « Tant mieux ! »

    Par-devers moi, je reconnais que ces critiques
posent, d’une façon plus urgente que je ne le croyais,
le problème de l’après-guerre et du régime de la
France. Ne sachant plus quoi répondre, je demeure
silencieux.

    « Si tu ne nous crois pas, reprend Vourc’h, il faut
que tu rencontres René Avord, le rédacteur en chef
de La France libre . Nous prendrons rendez-vous pour
toi. Il connaît à fond les questions politiques. Il
t’expliquera. »

    Pourquoi refuser ? Depuis un an, je lis attentivement ses articles. J’admire son honnêteté, sa lucidité,
son intelligence. Je leur communique le numéro de
téléphone de mon hôtel.

    Vendredi 17 juillet 1942

     

    Un revenant de la France libre

    J’ai reçu un message de René Avord m’invitant à
déjeuner aujourd’hui.

    Quand j’entre dans le bureau de la revue, l’homme
à l’œil malicieux qui se lève et vient à moi la main
tendue n’est autre que Raymond Aron, le « vieux
sergent » de Delville Camp ! « Bonjour Cordier, je
suis heureux de vous revoir. »

    Je le croyais en Afrique ; que fait-il là ? Il m’interroge sur les raisons de mon séjour à Londres en
civil. À cause de son « grand âge », je suis sûr de lui
et lui avoue mon prochain parachutage en France.
J’enchaîne aussitôt sur les propos calomnieux de
Hattu et de Vourc’h. Il me dévisage presque durement et me dit : « Malheureusement, ils disent la
vérité. » Hauck, Vourc’h, Hattu, maintenant Aron :
sont-ils devenus fous ?

    Aron ajoute d’autres exemples à ceux entendus
hier, mais la conversation conserve la sérénité d’une
démonstration géométrique. Elle n’en est que plus
troublante.

    Il m’explique d’abord la culpabilité de Vichy, celle
de Pétain, débordé par la logique de l’armistice imposant la collaboration. Je reconnais au passage des
faits ou des arguments qu’il a développés devant
moi ou que j’ai lus dans ses articles : « Nous sommes
dans le camp opposé à celui des fascistes et des nazis.
Nous combattons pour la liberté. Pour la rétablir, il
n’y a pas d’autre régime que la démocratie. »

    En dépit de sa courtoisie, je dirai même de sa
gentillesse à mon égard, il m’intimide. Je me gardede l’interrompre, trop conscient de l’immensité du
savoir qui nous sépare. De plus, ses démonstrations
sont toutes de bon sens. Ses évidences subtiles
désarment la contradiction. Pourtant, je crois être
plus séduit par la vivacité de son intelligence, que
par ses arguments proprement dits.

    Ne voulant pas le décevoir, je hasarde : « Et les
communistes, l’Union soviétique ? Ne vont-ils pas
confisquer la victoire ?

    — Ne brûlons pas les étapes. Sans l’URSS, nous
n’avons aucun espoir de vaincre. Évidemment, il
y a un danger pour l’avenir. Tout dépendra des
Américains, de leur capacité à débarquer rapidement et d’occuper l’Europe avant l’armée rouge.
Si la politique ne comportait aucun aléa, où serait
l’intérêt de vivre au présent ?

    — Croyez-vous que le Débarquement soit imminent ?

    — Qui vous le fait croire ?

    — Les journaux ne parlent que de ça. J’ai tellement envie de participer à la Libération ! Un débarquement immédiat ruinerait ma mission.

    — Si ce n’est que ça, ne vous inquiétez pas : vous
aurez le temps de tuer plein d’Allemands. »

    De bout en bout, l’entretien est d’une invariable
courtoisie. Il me raccompagne à la porte  : « Puisque
vous retournez en France, je vous demande un service
pour la liberté : dites aux résistants qu’à la Libération,
ils devront s’opposer par tous les moyens aux ambitions du Général.

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