Alias Caracalla

proclamer à la BBC
qu’ici tout le monde s’en fout ! Les mouvements, ce
n’est pas l’Action française clandestine ; ce sont despatriotes qui bravent le danger pour tenter de faire
quelque chose ensemble. J’ai la chance de m’occuper du plus fort et du mieux organisé de tous :
Combat. Quand je constate le bordel qui y règne,
je plains sincèrement Schmidt de s’occuper de
Libération. Pour couronner le tout, *Charvet, le chef
de Combat, est un militaire que je soupçonne d’être
fasciste. Heureusement, il s’oppose à Libération, qui
est carrément une annexe du Front populaire. »

    Si je n’apprends rien de nouveau sur l’organisation de la Résistance, j’ai toutefois la confirmation des
lamentations de Schmidt. La Résistance m’impose
la sagesse de Saint-Elme  : « Aide-toi, le ciel t’aidera ! »

    Vendredi 14 août 1942

     

    Avec *Rex et Bidault

    Ce soir, j’accompagne *Rex chez Georges , à côté de
Perrache. Nous dînons avec Georges Bidault. Les
restaurants où il m’entraîne d’habitude sont des
bouchons lyonnais sympathiques, intimes, exigus.
Celui-ci, sans être luxueux, déploie un vaste espace
au décor démodé et au plafond art déco. Nous nous
installons à l’écart des quelques voyageurs encombrés
de valises.

    L’objet de la rencontre est la coexistence des
mouvements rivaux : Libération, Combat et Franc-Tireur, dont les chefs sont respectivement *Bernard,
*Charvet et*Lenoir 33 . *Rex se montre soucieux d’institutions pour canaliser cette anarchie de courage :
Les mouvements doivent-ils être coordonnés ouunifiés, et sous quel statut vis-à-vis de la France
libre ? La question est posée dans un télégramme
d’André Philip, que j’ai déchiffré ce matin, annonçant à *Rex son intention de créer un Comité
directeur des mouvements, composé de leurs représentants et dont *Rex serait le président : « Donnez
votre avis, notamment sécurité. »

    *Rex souhaitant connaître l’opinion de Bidault, ce
dernier lui répond : « J’ai approuvé votre demande
de voyage à Londres pour *Charvet et *Bernard. Il
est indispensable que l’avenir de la Résistance soit
décidé par de Gaulle. De mon point de vue, l’existence des mouvements dépend de leur allégeance
au Général et de leur discipline gaulliste. On en est
loin !

    — Je ne saurais trop vous approuver, mais êtes-vous sûr de *Charvet ? Il a été longtemps admirateur
du Maréchal et militant de la Révolution nationale.
Je reçois des mises en garde contre lui d’hommes
respectables.

    — Vous avez raison. Les opinions de *Charvet sont,
disons, fluctuantes, quand ce n’est pas contradictoires. Il est à la fois autoritaire et brouillon. En dépit
de sa violence caractérielle, il a une excuse : c’est un
militaire. L’armée n’est pas l’école de la démocratie.
La sagesse de nos législateurs lui interdit d’ailleurs
la politique.

    — Il a certes des excuses, mais je crains ses foucades.

    — C’est probablement le plus ancien chef de mouvement et un remarquable organisateur. Mais vous
connaissez son manifeste fondateur, sorte de proclamation d’autorité sur toute la résistance aux
Allemands. Excepté les communistes, personne ne
s’est proclamé aussi nettement rival de De Gaulle.

    — C’est bien cette rivalité qui m’inquiète.

    — Vous semblez minimiser la légende de De
Gaulle. *Charvet est d’autant plus violent avec vous
et au sein de son état-major qu’il ne peut rien révéler de ses sentiments à ses militants. Imaginez qu’il
exprime dans son journal ses critiques à l’égard du
Général et de ses services ! Il perdrait toutes ses
troupes, qui, elles, sont composées de « gaullistes »
inconditionnels. Il en va de même dans tous les
mouvements.

    — Je suis d’accord avec vous, mais le problème
demeure : Faut-il créer un Comité directeur ?

    — Je crois qu’il est nécessaire de créer un Comité
de coordination sous votre présidence. Il me semble
que vous aurez ainsi un instrument de contrôle
pour contenir les écarts des uns et des autres. Un
Comité directeur, c’est autre chose : cela implique
une fusion des mouvements, et je ne suis pas sûr
que ce soit possible actuellement pour les militants,
à cause des divisions politiques. Quant aux chefs,
étant donné leur rivalité…

    — Quand j’observe leur conduite lors de nos réunions informelles, je redoute de leur conférer un
caractère