Alias Caracalla
d’être arrêtés. Malgré ça, ils discutent
interminablement de faux problèmes, alors que les
solutions sont de bon sens. Ça ne peut plus durer !
J’en ai assez ; assez ! » Je reste sans voix. Depuis mon
arrivée, j’ai toujours observé chez *Rex l’humeur égale
d’un homme mesuré. Quelle métamorphose !
Me prenant à témoin, il se déchaîne : « Depuis
des semaines, la discussion s’engage par un tour de
table sur l’ordre du jour : la fusion des organisations
paramilitaires. Chacun exprime son point de vue
sur les nouvelles structures, l’organisation de l’état-major, le rôle du commandement, les avantages et
les inconvénients de telle ou telle formule. Tant bien
que mal, nous parvenons à un accord. *Charvet, qui
est malin, prend des notes, pendant que *Bernard
fume cigarette sur cigarette et que *Lenoir répète mot
à mot ce que tout le monde a déjà compris. Quand
tous les arguments sont épuisés et que la réunion
touche à sa fin, *Charvet propose un texte qu’il a
rédigé au cours de la séance. *Bernard, accroché à
sa cigarette, n’a pris aucune note et déclare qu’il n’a
pas d’objection à faire mais qu’il ne peut signer sans
l’avoir soumis à son Comité directeur. “Libération,
dit-il en regardant *Charvet, est un mouvement
démocratique.” Celui-ci, blessé par l’allusion, se
rebiffe : “Vous voulez dire que Combat ne l’est pas ?”
Brusquement la tension monte. Je m’efforce de calmer l’antagonisme caractériel des deux hommes.
Inutilement, d’ailleurs, puisque l’ordre du jour estépuisé. * Bernard confirme son accord de principe
et annonce qu’il apportera la réponse définitive à
la prochaine réunion. Quelques jours plus tard, la
séance s’ouvre par une déclaration de * Bernard, toujours la même : son comité refuse le projet. La discussion reprend alors au point où elle avait
commencé à la séance précédente. Cette fois, c’est
fini ! J’en ai assez de cette comédie. Je ne veux plus
discuter avec eux. Je vais les expédier à Londres, et
le Général sedébrouillera 36 . »
Cette philippique n’a rien de surprenant après les
rapports que j’ai codés et le tour d’horizon d’hier
avec Bidault. Seul le ton coléreux est nouveau. Pour
le reste, les désaccords me sont maintenant familiers.
À mesure que *Rex s’exprime, je discerne mieux le
rôle de chacun des chefs et les mouvements qu’ils
représentent. Leur personnalité et leur tactique se
dévoilent. Progressivement, les problèmes opposant
la Résistance et la France libre deviennent concrets.
Dans le tramway presque vide qui nous ramène
en ville, *Rex ne desserre pas les dents. Je me garde
de rompre le silence et le suis sans mot dire quand
il descend devant l’Opéra. Lorsque nous rentrons
rue Garet, je comprends qu’il me garde à dîner. Il
est 7 heures quand nous nous installons aux mêmes
places que la dernière fois. Pareillement, le restaurant
est vide.
Tandis que je consulte le menu, il fait son choix,
commande notre dîner, puis continue de fumer en
silence. Depuis la sortie de la réunion, il allume une
cigarette avec l’autre. Jamais il n’a tant fumé. On
nous apporte les hors-d’œuvre, qu’il mange sans mot
dire. Après un moment, il me considère longuement.
Son regard brun s’adoucit, et son visage retrouve la
régularité qui en fait le charme : « Il faut que vous
compreniez les causes de mes difficultés. Dans toute
guerre de coalition, la solidarité doit être sans faille.
Des politiques antagonistes, des stratégies contradictoires, des chefs en désaccord, et c’est la déroute
assurée. Pour une fois, le Maréchal a raison :
“Français, vous avez la mémoire courte”. »
Tout en parlant, il redevient lui-même. À nouveau
danse dans son regard cette lueur amusée qui m’a
tant séduit, ici même, il y a quelques jours. Après
un nouveau silence : « Vous êtes-vous intéressé à
la guerre d’Espagne ? » Quel rapport ? Avec mes
parents, j’ai salué le triomphe de Franco. D’un geste,
je réponds évasivement. Je comprends que, comme
souvent, sa question n’attend aucune réponse. Après
avoir allumé une nouvelle cigarette, il reprend : « Ce
n’est pas Franco qui a gagné la guerre ; ce sont les
républicains qui l’ont perdue. »
Je me félicite de mon silence : sa version n’est
pas du tout celle de Maurras, ni par conséquent la
mienne. « Régime légal de l’Espagne, la
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