Alias Caracalla
du propriétaire, la
porte ouvre directement sur un palier de l’immeuble. L’affaire est conclue à 500 francs de loyer par
mois. La pièce est située à égale distance de la gare
de Perrache et de la place des Terreaux, périmètre de
mes activités, et à quelques enjambées de la chambre de * Rex, rue de la Charité.
*Rex quittant Lyon ce soir, j’en profite, après
l’avoir accompagné à la gare, pour déménager. Chez
les Moret, je récupère ma valise, qui contient tous
mes biens, ainsi que, dans la cheminée, des documents, ma radio et mon revolver. Je réfléchis à l’heure
propice pour mon transfert.
Je dois traverser Lyon jusqu’à la place Bellecour,
et, je ne sais pourquoi, le risque me semble plus palpable que lors de mon arrivée. Peut-être parce que
je suis seul. J’hésite entre plusieurs tactiques lorsque Suzette entre dans la pièce, les bras chargés de
draps et de couvertures qu’elle jette sur le lit : « Si
vous voulez, je peux transporter votre valise. » La
sécurité interdisant qu’elle connaisse ma nouvelle
adresse, je décline son offre : « Merci beaucoup,
mais ce n’est pas le rôle d’une jeune fille.
— Vous avez tort. Comme tous les garçons, vous
croyez que vous faites tout mieux que les filles.
Ce n’est pas vrai : les femmes ont l’avantage sur les
hommes de passer inaperçues. Plus elles sont jeunes, moins elles sont soupçonnables. »
Désarçonné par cette sortie, je reconnais derrière
la fille ravissante et toujours serviable un caractère
indomptable. En d’autres circonstances, elle m’aurait
exaspéré, mais aujourd’hui elle a raison. * Claudine
ne doit pas être beaucoup plus âgée qu’elle, et pourtant son activité dans la Résistance ne m’a pas surpris. Alors pourquoi cette hésitation à l’égard de
Suzette ? Coupant court à mes réflexions, elle ajoute
sans ciller : « Vous avez un rôle trop important à
jouer pour transporter des valises avec des revolvers et risquer de vous faire arrêter pour rien.
— Avez-vous l’autorisation de votre père ?
— D’abord, ce n’est pas mon père. Ensuite, je suis
assez grande pour choisir seule mon devoir. »
L’enfant sage qui, le dimanche, m’accompagne
pieusement à la messe n’est décidément pas une jeune
fille en fleur. Je pose une condition : elle transportera
ma valise en tramway jusqu’à la gare Perrache et,
de là, reprendra le tram 7, qui s’arrête à quelques pas
de la rue Sala. Je monterai à Perrache dans le même
tramway et, après avoir récupéré ma valise, descendrai à ma station tandis qu’elle poursuivra sa route.
Je fixe l’opération à la fin de l’après-midi.
Tout se passe comme prévu. Bien avant l’heure
de dîner, je suis enfin chez moi. Pour la première
fois j’habite seul. Quand je ferme la porte à clef, je
découvre un sentiment nouveau de liberté : personne
ne m’observe ni ne m’espionne ; je suis enfin mon
maître. J’installe dans la penderie mon costume et
mon imperméable et, dans la commode, mouchoirs,
caleçons, pull-over, chemises et cravates. Près de la
fenêtre, sur des rayonnages encastrés, je dispose
toute ma bibliothèque : Ci-devant et Les Décombres .
En dépit de son étroitesse, la pièce me paraît
spacieuse tant les meubles sont fonctionnels : un lit
d’une place contre le mur, une table et une chaise
près de la fenêtre, au milieu un fauteuil crapaud. Face
à l’entrée, scellé dans le mur, un petit lavabo, sous
lequel est glissé un bidet mécanique masqué par un
rideau ; derrière la porte, la penderie. Repeinte ettapissée de neuf, la pièce est claire et propre avec
son parquet ciré. Les rideaux à fleurs l’illuminent
d’une gaieté rare à Lyon.
Seul problème : où cacher mon poste émetteur et
mon revolver ? Il n’y a aucune cachette efficace
dans cette chambre. Tout est visible et à portée de
main. Je me remémore les instructions : « Choisir
un lieu que la police n’aura pas l’idée de fouiller. »
J’ai le choix entre deux places : sous le lit ou sous le
fauteuil, dont le volant traîne au ras du sol. M’imaginant que le fauteuil serait examiné en dernier,
parce que trop évident, je bloque le poste entre ses
quatre pieds à roulette : en déplaçant le fauteuil, il
restera coincé. Je décide de placer mon revolver
entre le matelas et le sommier, même si c’est risqué.
Seul avantage : il est ainsi accessible à tout instant.
Enfin, je
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