Alias Caracalla
glisse la microphoto de mon schedule entre
les pages des Décombres . Bien que ces mesures soient
purement illusoires, je suis satisfait d’obéir aux
consignes du BCRA.
Avant mon départ de la rue Philippeville, Mme
Moret m’a lancé une invitation : « Nous serions très
heureux, mon mari et moi, de vous avoir à dîner
samedi soir. » Comme ce samedi-là *Rex est absent,
j’ai accepté.
En les quittant, je passe à ma boîte relever le
courrier. J’y trouve un mot de Paul Bastid m’invitant
à venir chez lui à 6 heures. Comme toujours, c’est
urgent.
À 6 heures, je pénètre dans le grand salon, un de
mes premiers souvenirs de la Résistance. Je retrouve
avec lui cette politesse gourmée qui m’a tant surprisaprès deux ans de vie militaire. Il a une information
urgente à transmettre à *Rex : le CGE a été choqué
par les déclarations d’un envoyé de la France libre,*Rondeau 4 : « Il nous a déclaré qu’il était le seul
représentant politique du général de Gaulle en
France, que *Rex avait usurpé un titre qui lui appartenait à lui seul et que la création du CGE était
contraire aux ordres du Général. Le saviez-vous ? »
Je l’ignore parce que *Rex lui-même l’ignore.
« Le Comité souhaite connaître la mission exacte
de Roques auprès de la Résistance et ses relations
avec *Rex. De toute façon, nous souhaitons que cette
déclaration intempestive cesse immédiatement. Cette
agitation est nuisible à la cohésion si difficile de
l’ensemble. » Je l’assure que *Rex sera informé rapidement et que je le rencontrerai à nouveau très prochainement.
Jeudi 20 août 1942
Qui est *Léo ?
*Léo, l’inconnu que *Rex m’a demandé d’aller
voir, m’a fixé rendez-vous à la sortie de la gare des
Brotteaux. Signe de reconnaissance : Le Temps . Quelle
n’est pas ma surprise de voir arriver le caporal-chef
Yvon Morandat, de Delville Camp ! Pourquoi ce
garçon inoffensif et bon enfant est-il la bête noire
de *Rex ? Je ne l’ai pas revu depuis plus d’un an et
suis aux anges de retrouver ce camarade sympathique, qui avait dirigé, en juillet 1940, ma première
corvée de charbon.
Le but de notre rencontre est d’établir le contact
entre Jean Holley, son radio, et la Home Station . Le
plaisir de nos retrouvailles ne tarde pas à prendre
le pas sur la raison de notre rencontre. Morandat
m’invite à déjeuner. Comme il n’est pas midi et que
j’ai du temps devant moi, j’accepte volontiers. Il
m’entraîne, non loin de la gare, dans un surprenant
bistrot en forme de rocaille.
Comme Fassin, Cheveigné et Schmidt, nous sommes des Français libres, et nous nous exprimons en
toute liberté. Toutefois, je ne souffle mot du jugement hostile de *Rex à son égard. A-t-il commis une
faute ? À table, nous oublions son radio. Connaissant
sa faconde, je sais que, sans poser de questions, je
serai bientôt au courant de tous les secrets de la
Résistance.
J’apprends effectivement que *Bernard s’appelle
Emmanuel d’Astier de La Vigerie et qu’il est le chef
de Libération, alias *Liber. Ancien officier de marine,
journaliste, il a été maurrassien et antisémite, avant
d’évoluer vers le socialisme. *Nef est un autre pseudo
du capitaine *Charvet, de son vrai nom Henri
Frenay, officier d’active et chef de Combat, dont le
nom de code est Lifra. Quant au chef de Franc-Tireur,
ou Tirf, il s’appelle Jean-Pierre Lévy et a pour pseudonyme *Lenoir.
Je m’étonne que Libération ait deux officiers de
liaison : Schmidt et Morandat lui-même. « Mais je
ne suis pas officier de liaison. En tant qu’ancien syndicaliste, j’ai obtenu de Londres une mission auprès
des syndicats de zone libre pour les rallier à deGaulle 5 . » Je remarque que, comme nous tous,Morandat continue à dire de Gaulle, à ses risques et
périls. Après son parachutage à l’automne de 1942,
ses camarades syndicalistes d’avant-guerre l’ont mis
en relation avec d’Astier de La Vigerie. Celui-ci lui a
proposé d’entrer au Comité directeur de son mouvement, parce que Libération est constitué, en grande
partie, de syndicalistes CGT tendance Jouhaux, avec
qui d’Astier avait négocié un accord pour rallier ses
troupes.
Il a également traité avec le CAS, le Comité d’action
socialiste clandestin, qui regroupe des membres de
l’ancien parti SFIO : « C’est au titre de syndicaliste
“gaulliste” que *Bernard m’a demandé de faire partie
du
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