Alias Caracalla

solution est là-bas ! » Je sais que
« là-bas » signifie de Gaulle, sur lequel il compte
pour conclure la négociation difficile qu’il poursuit
sur l’unité et le commandement de l’armée secrète.

    Dans sa chambre, il se met à rédiger plusieurs textes. Installé dans le fauteuil à ses côtés, je reprends
ma lecture des discours de Pétain. Quand il a fini, il
me tend quelques feuillets : « Faites partir ces câbles
le plus tôt possible. À demain. »

    Je dîne rapidement avant de rentrer rue Sala. J’ai
une dizaine de télégrammes à coder : presque une
nuit de travail. En découvrant le premier télégramme,
je comprends la joie de * Rex. Son entrevue avec
Delestraint est une réussite : il accepte le commandement des organisations paramilitaires des mouvements, sous réserve d’un inventaire de la situation et
de l’accord personnel du général de Gaulle.

    Par ailleurs, il envisage de créer une double organisation, l’une consacrée au noyautage de l’arméed’armistice, l’autre à l’organisation des groupes militaires des mouvements. Bien qu’il s’agisse d’un
homme de Combat, * Rex soutient sa nomination, à
condition qu’elle soit effectuée par de Gaulle : « Il
serait souhaitable que le général de Gaulle, s’il est
d’accord sur la personnalité de * Vidal [Delestraint],
désigne lui-même, en fixant ses attributions, ce
général comme chef des organisations militaires et
paramilitaires des Forces françaises combattantes
dans la zone non occupée. »

    Cette phrase rejoint la conception de la Résistance
comme « annexe de la France libre » qu’ont tous les
agents du BCRA. Je retrouve en outre dans le télégramme un des leitmotive de ces derniers jours :
*Rex compte sur de Gaulle pour imposer la fusion
des groupes paramilitaires à la Résistance des chefs.
En dépit de l’optimisme de son dernier rapport, il
avoue que des « divergences de vues » subsistent
entre Frenay et d’Astier de La Vigerie.

    Une autre affaire, évoquée par * Rex depuis des
semaines dans plusieurs télégrammes, semble sur
le point d’aboutir : le départ de l’ambassadeur
Massigli à Londres. La France libre marque un intérêt persistant pour cette recrue, aucun diplomate de
haut rang ne l’ayant rejointe. Cette infirmité est
d’autant plus regrettable que le Général s’est séparé
de Maurice Dejean, commissaire national aux Affaires
étrangères, à la suite d’un désaccord. René Pleven
assure l’intérim. Depuis juin 1940, de Gaulle a besoin
d’hommes représentatifs et connus des Alliés.
Massigli, dont * Rex et Bidault semblent faire grand
cas, est-il vraiment connu ?

    En tout cas, il hésite depuis des mois, et c’est une
victoire pour * Rex de l’avoir convaincu de partir. Il
pose toutefois comme condition sa nomination auposte de commissaire aux Affaires étrangères. Ce
chantage me révolte : comment faire confiance à un
homme dont le marchandage révèle l’absence de
conviction ? J’espère que de Gaulle refusera ce marché, qui ne semble pourtant pas heurter * Rex.

    Les deux derniers télégrammes sont tout aussi
importants. Une fois de plus, * Rex condamne l’échec
de Morandat auprès des syndicalistes : visiblement,
il veut se débarrasser de mon camarade, qui, si j’en
juge par notre conversation, n’est pas conscient de
sa disgrâce. Outre ma sympathie personnelle, j’ai
quelque difficulté à croire à sa nocivité.

    Depuis quelque temps, un autre agent, * Rondeau,
a fait son apparition. Je l’ai découvert grâce à l’avertissement de PaulBastid 9 . Les résistants mis en
cause s’en sont émus. Comme Morandat et * Salm, il
appartenait au commissariat national à l’Intérieur.
J’ai relaté ses propos contre * Rex et sa prétention à
être seul qualifié pour traiter les questions politiques.

    Irrité par ce désordre, * Rex provoque l’épreuve de
force : « Les seules difficultés sérieuses que je rencontre dans ma tâche viennent des agents gaullistes. Si la question n’est pas réglée rapidement, j’aurai
le regret de vous demander de me relever de mes
fonctions. Le désordre est à son comble. Herriot a
été touché par dix-neuf agents gaullistes. Je me suis
personnellement tenu dans la limite de ma mission.
Le seul personnage politique que j’ai rencontré est
Paul Bastid, mon ancien professeur. »

    Cette dernière phrase m’éclaire enfin sur la différence d’âge entre les deux hommes,