Alias Caracalla
compliquées, dignes des romans d’espionnage. Peu à peu, je me suis persuadé que, n’étant
pas un clandestin, mais un soldat, je n’en avais que
faire. J’observe chez mes camarades d’Angleterre
une même liberté avec les consignes de sécurité. Le
temps estival, les trains envahis par les familles en
vacances, les enfants jouant sur les plages nous rassurent au-delà du raisonnable.
Ce soir, dans ma petite chambre de la rue Sala,
je me sens encore plus seul et demeure longtemps
éveillé.
Lundi 24 août 1942
Le général Delestraint
Les télégrammes et les rapports que je reçois prouvent que la fusion des mouvements avance. Le dernier
obstacle tient au choix d’un commandant en chef.
Henri Frenay, avec son caractère, sa compétence et
ses gros bataillons, en revendique la direction, mais
les autres chefs s’y opposent. Pour résoudre ce problème, il faut un chef extérieur aux mouvements.
*Rex a d’abord pensé au général de Lattre de
Tassigny, qui commande la région militaire de
Montpellier. Il m’avait envoyé à Antibes chez le
commandant Vautrin, une de ses relations et ami
du général, afin de lui apporter un message oral :
Pouvait-il organiser une rencontre entre *Rex et
de Lattre en vue de lui offrir le commandement de
l’armée secrète. Vautrin approuva son choix : « Ce
serait un formidable coup de fouet pour l’armée
clandestine, mais aussi pour de Gaulle. »
Lorsque je revins le voir quelques jours plus tard
à Antibes, Vautrin déchantait. Il me demanda de
transmettre à * Rex le refus de De Lattre : « Il obéit
au chef de l’armée française, qui est le maréchal
Pétain. Si un jour il passe à la Résistance, ce sera
sur son ordre. De Lattre représente l’esprit de l’armée
d’armistice. C’est un leurre de croire qu’elle bougera
tant que le Maréchal n’en aura pas donné l’ordre. »
Vautrin me demanda d’attirer l’attention de * Rex
sur un point important à ses yeux : « De Lattre se
montre extrêmement critique à l’égard des mouvements, dont l’esprit lui semble trop politisé : en
clair, trop à gauche. C’est un soldat. Il refuse tout
engagement politique. » Quand je communiquai à
*Rex le message et le commentaire de Vautrin, il se
montra déçu, mais pas du tout surpris.
Après cet échec, Frenay proposa de sonder le général Giraud. Deux membres de Combat qui le connaissaient personnellement, Menthon et * Lorrain 6 , lui
rendirent visite séparément. Ce fut un échec : Giraud
refusait de commander l’armée clandestine « gaulliste » ; son projet était de prendre la tête d’une
insurrection militaire nationale à l’occasion du
Débarquement allié en France.
Quand j’apportai à * Rex le mot de François de
Menthon, il lâcha laconiquement : « C’est l’opération
La Laurencie qui recommence, en plusdangereuse 7 ! » À la suite de ces échecs répétés, Frenaysoumit à * Rex le nom du général Charles Delestraint.
À la suite de quoi, il décida de m’envoyer en reconnaissance à Bourg-en-Bresse, où il habitait.
Quand j’arrive par le train, en début d’après-midi,
la chaleur est torride. Quittant la gare, je marche
dans les rues désertes jusqu’à l’adresse indiquée :
une sorte de faubourg regroupant des petites maisons d’un étage. Je sonne : une ravissante jeune fille
aux yeux pervenche m’ouvre. Je prononce le mot de
passe, et elle me fait entrer dans un salon décoré
de meubles anciens quelconques, plongé dans la
pénombre.
Quelques minutes plus tard, un petit homme en
civil aux cheveux blancs entre dans la pièce. Il me
tend la main. Est-ce le général ? De ma vie, je n’en
ai vu qu’un en chair et en os : de Gaulle, qui ne sourit jamais, même quand il tend la main. Je suis
déconcerté par la gentillesse de l’accueil de ce vieux
militaire. J’ai l’impression de voir mon grand-père
Gauthier.
Je lui explique le but de ma visite : organiser un
rendez-vous avec * Rex le 28 août prochain, à Lyon.
Il accepte aussitôt et me demande de venir le chercher, après déjeuner, au buffet de la gare Perrache ;
je le conduirai alors au rendez-vous, dont j’ignore
encore le lieu.
Comme je me lève pour prendre congé, il me
demande aimablement de rester assis : « Vous
avez bien quelques instants ? » Paternellement, il
me questionne sur la manière dont j’ai rejoint la
Résistance. Je lui indique que j’arrive de Londres ;
il paraît
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