Alias Caracalla
mais aussi sur
la déférence que * Rex marque à son égard. Quant à
la propre mission politique de mon patron, je suissurpris par l’étroitesse de ses limites. J’avais cru
comprendre qu’il était le seul représentant personnel du Général en France. À ce titre, n’est-il pas responsable des questions techniques, administratives,
militaires et politiques ? Lors des entretiens auxquels
j’assiste, il traite de tous les problèmes, y compris
politiques.
Codant ce câble, je constate pour la première fois
que sa mission est menacée. En offrant sa démission, ne prend-il pas un risque inutile ? Et si Londres
le prenait au mot ? Est-il sûr de sa position auprès
du Général ?
Dimanche 30 août 1942
Premier courrier
Bien que * Mado soit devenue la pierre angulaire
de mon secrétariat, mes voyages deviennent une surcharge insupportable à mesure que les rendez-vous
se multiplient à Lyon. Je perds des heures dans le
train pour transporter un pli, attendre une réponse
ou transmettre une consigne orale. Est-il indispensable d’être un officier de la France libre pour
accomplir une telle besogne ?
*Rex m’a plusieurs fois rappelé qu’il ne tenait qu’à
moi d’embaucher les collaborateurs dont j’avais
besoin, non sans préciser que l’exécutant de ces basses besognes, connaissant les noms et les adresses
des chefs de la zone libre, aurait le pouvoir de décapiter la Résistance. En clair : je ne pouvais déléguer
cette tâche d’apparence modeste à personne.
Chaque jour, sauf le dimanche, je me lève à
6 heures et commence par relever les boîtes de * Rexet la mienne. Au retour, j’achète journaux, pain ou
biscottes pour son petit déjeuner et, à 7 heures, je
sonne chez lui. Selon l’importance du courrier,
nous travaillons une heure ou plus. Puis il organise
sa journée selon ses rendez-vous ou ceux que j’ai
pris pour lui. Il n’en note aucun et compte sur ma
mémoire : je suis son agenda.
Quand je le quitte, commence la noria des
rendez-vous, qui s’échelonnent jusqu’au soir : officiers de liaison (Schmidt, Fassin, Morandat), radio
(Brault), adjoints des chefs de mouvements ( * Lorrain,
*Brun, *Lebailly,*Claudius 10 ), membres du CGE
(Bastid et Menthon, en particulier). Il y a aussi des
plis en plus, des résistants de la zone nord, des syndicalistes, etc. S’y ajoutent les distributions d’argent,
l’organisation des rendez-vous ou des réunions, etc.
Tout cela à pied ou en tramway. Je déjeune et dîne
avec l’un de mes interlocuteurs ou avec * Rex, selon
ses ordres. En rentrant chez moi, dans la soirée ou
la nuit, je travaille au codage et au décodage. J’en ai
pour jusqu’à minuit ou plus tard, selon le volume
des documents reçus ou à expédier.
Mal nourri, je commence à éprouver une fatigue
qui ressemble à celle de mes débuts de soldat dans
la France libre. Je travaille dans l’urgence, mais la
multitude des précautions à prendre freine l’exécution des tâches. Pourtant, je suis loin d’appliquer à
la lettre les règles de sécurité. Chaque soir, je me
répète en m’endormant que je dois trouver des assistants sans délai.
C’est dire mon impatience, ce dimanche, lorsque je
rencontre chez Mme Bedat-Gerbaut Hugues Limonti,
le garçon dont elle m’a parlé. Je suis d’abord étonné :il ne ressemble pas à un ouvrier. Sobrement vêtu,
plutôt élégant, il est petit et corpulent. Il m’inspire
immédiatement confiance, en dépit du contraste
entre son visage énergique et la mollesse de sa poignée de main.
Je lui explique que son travail consiste à me remplacer dans une partie de mes tâches, lui indique le
rôle de * Mado et la nature de ses relations avec elle :
porter et récupérer deux fois par jour les textes à
taper. Leurs rendez-vous s’effectueront à l’extérieur : il
doit ignorer l’adresse de son domicile. Il devra aussi
relever les boîtes plusieurs fois par jour. Je lui
demande de s’enquérir d’amis sûrs, qui accepteraient de prêter les leurs ou de conserver des archives
compromettantes (en chaque occasion, je m’efforce
d’étendre mon réseau squelettique). Il aura par
ailleurs des rendez-vous quotidiens avec les secrétaires ou courriers des mouvements.
Pour ma part, je le rencontrerai au minimum
quatre fois par jour : le matin, avant et après mon
premier rendez-vous avec * Rex, c’est-à-dire à 6 h 30
et vers 8 heures, puis à midi et le soir, ou parfois
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