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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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camp,
Blanquat n’a-t-il pas marqué son plein accord pour
recevoir mon envoyé imaginaire ? Comme s’il percevait mon flottement, il lance d’un ton joyeux :
« Allons dîner. Carquoy est de service ce soir et rentrera tard.

    — Connais-tu un bon restaurant ? C’est moi qui
invite. »

    Tandis que nous déambulons dans les rues, nous
parlons d’une voix claironnante, comme avant-guerre.
En sa compagnie, c’est comme si j’étais soudain
libéré d’une présence invisible : la peur. Au restaurant, les tables ont beau être suffisamment éloignées
pour nous permettre de parler librement, je reste
sur mes gardes. Comprenant mon regard circonspect,
il me rassure : « Avec moi, tu ne risques rien. » Quand
il m’interroge sur ce que je fais en France, je lui
réponds néanmoins que nous en parlerons chez lui.

    Je le questionne sur la vie de nos anciens camarades de l’Action française. Il m’informe qu’après
l’armistice le cercle a fusionné avec l’association
des étudiants dans un nouveau mouvement. Paul
Courcoural, ancien collaborateur de mon grand-père
Cordier, a poursuivi sous l’Occupation la publication de Guyenne et Gascogne . Jean Arfel est devenu
l’étoile montante de l’organisation à Bordeaux. Il écrit
maintenant sous le pseudonyme de Jean Madiran.

    Je me souviens bien de la participation efficace
d’Arfel à la vie du cercle, où son intelligence et sa
passion doctrinale faisaient merveille. J’ai toujours
cru qu’il serait destiné à un rôle de premier plan
dans le journalisme politique. Blanquat douche
mon enthousiasme : « Il soutient Pétain à fond. »

    Je ne dis rien. À mesure qu’il parle, je prends
conscience que je suis le seul militant du cercle à
avoir rallié de Gaulle et la Résistance. L’exemple de
la double fidélité de Mme Moret, vécue sans déchirement, me fait espérer malgré tout le recrutement
de mes deux camarades. Cette femme patriote n’est-elle pas la preuve qu’en 1942 on peut être à la fois
pétainiste, vichyste et gaulliste ?

    Blanquat suit-il le cheminement de ma pensée ?
Brisant le silence, il lâche : « Sais-tu que j’ai revu
tes parents ? » Étrangement, j’avais oublié la lettre de
1941 dans laquelle ma mère m’informait de sa visite.

    « Tu es allé à Bescat ?

    — Non, ils sont installés à Pau, où ils ont acheté
un appartement, au Gassion 21 . »

    Révélation cruelle. À l’instant où ma mère redevient présente, l’obligation de la situer dans un décorinconnu désintègre son image : mon souvenir est
prisonnier de Bescat ; ailleurs, elle n’est qu’un fantôme insaisissable.

    « Pourquoi ont-ils déménagé ?

    — Ils n’ont pas déménagé. Ils ont conservé Bescat,
mais comme il n’y a plus d’essence ils ne peuvent
habiter dans la vallée d’Ossau. »

    Notre maison, ma chambre sont donc intactes,
comme l’espérance. Je pourrai y dormir à nouveau,
caresser les chiens, embrasser ma mère… Au-delà
du patriotisme de vengeance, c’est là mon but de
guerre. Deux heures de train à peine me séparent
de mes parents. À cet instant, je voudrais tant les
revoir, mais le BCRA l’interdit formellement. Ce qui
me sépare d’eux est en réalité mon absence d’avenir. Lorsque je pense à mes parents, j’ai la certitude
de ne jamais les revoir. Les risques permanents de
la clandestinité ne laissent aucun espoir raisonnable d’en sortir.

    Après dîner, nous retournons chez Blanquat par
les rues désertes. En chemin, il m’annonce tout à
trac, d’un ton faussement détaché : « Ils m’ont parlé
de Domino. » Je ressens cette indiscrétion comme
une trahison. Mes parents ne connaissent ma liaison
avec elle que par la lettre de l’automne de 1940 que
je leur avais demandé de lui transmettre. Mes sentiments nostalgiques s’y étalaient sur deux pages,
mais je n’ai reçu aucune réponse de Domino.

    Blanquat, devinant le choc de cette évocation,
reprend, hésitant : « Je ne croyais pas que ce serait
moi qui te raconterais tout ça. Tu sais mon amitié ;
ce ne serait pas honnête de te le cacher ! » Il parle
de plus en plus lentement : pourquoi ces précautions ? qu’y a-t-il à cacher ? « Pardonne-moi de te le
dire… » Je sens mon sang se vider : Est-elle morte ?« Ils ne lui ont pas transmis la lettre que tu lui avais
écrite. »

    Ce n’est donc que ça ! Pourquoi faire tant de mystère pour une lettre oubliée ? Il

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