Alias Caracalla

travail à ma guise.

    Je sais néanmoins que le jour où je commettrai
une faute…

    Cet après-midi j’ai prévu une nouvelle vacation.
J’en profite pour expédier les derniers télégrammes
de Bidault. En retour, j’en reçois un, que je déchiffre aussitôt :

Raison échec opération maritime retardons
votre venue lune novembre pour éviter croiser Nef
[Frenay] et Bernard [d’Astier] — Ceux-ci seront
accompagnés par envoyé spécial du Général qui
vous apportera instructions complètes .

    À la suite, le BCRA informe * Rex de l’accord entre
les deux chefs sur les directives établies par la
France libre. L’opération maritime du 19 est donc
annulée, et Morandat rentre à Londres en novembre avec un Lysander. Le télégramme conclut :

[…] lui rappelons que reçoit ordre de vous.

    J’ai enfin une raison irréprochable pour réclamer
le retour de * Rex à Lyon. Je rédige aussitôt un billet,
que je remets le soir même à * Claudie : « Votredépart est annulé. Tout le monde a besoin de vous
ici pour contrôler une situation chaotique. Rentrez
d’urgence. »

    Vendredi 16 octobre 1942

     

    *Rex de retour à Lyon

    Ce matin, le courrier de * Rex m’apporte la réponse :
« Attendez-moi ce soir 16 octobre comme d’habitude. » Il s’agit du train de Nice arrivant à 7 heures
à Perrache. Mon euphorie fait place à une crainte
diffuse : notre liaison n’a-t-elle pas trop bien fonctionné ? Ai-je eu raison de le faire rentrer précipitamment à Lyon ? Les deux derniers mots de mon
billet m’apparaissent comminatoires, maintenant qu’il
a « obéi » : on ne parle pas ainsi à son patron ! Malheureusement, il est trop tard pour rien modifier.

    La chance comme le malheur n’arrivant jamais
seuls, un autre billet, de Morandat celui-là, répond
enfin à ma demande de rendez-vous : « D’accord le
16 à 10 heures près de la poste. »

    Après avoir expédié mes rendez-vous du matin, je
cours le rejoindre. Dès qu’il m’aperçoit, il m’entraîne
vers les quais du Rhône, qui lui semblent plus sûrs
pour parler  : « Ça barde ! Je crois que tout va sauter.
Les Boches sont foutus ! » Excité, il lance alentour
des regards circonspects : « Il faut que je me planque ; j’ai les flics aux trousses ! » Il m’explique qu’il
a été arrêté il y a une quinzaine de jours et qu’il évite
de revenir à Lyon : « Une bêtise ; j’ai été pris dans
une rafle du marché noir. Heureusement, je n’avais
rien sur moi. Mais il faut que je fasse attention. »

    Il ajoute, à brûle-pourpoint : « Où est * Rex ? J’ai
absolument besoin de le voir.

    — Il attendait une opération, mais elle est annulée. Il rentre ce soir. Je croyais que tu étais au courant.

    — Mais non, j’ai moi-même un embarquement
prévu sur la côte ! J’ai absolument besoin de le rencontrer d’urgence. C’est très grave. »

    Il m’explique qu’il a été informé des grèves sur
son terrain d’opération et qu’il est rentré précipitamment à Lyon, où il a aussitôt organisé des réunions avec les meneurs syndicalistes et les seconds
des mouvements. Il a fait imprimer des tracts, lancé
des mots d’ordre, etc. Morandat m’expose ensuite
un plan assez confus. Son obsession est la grève
générale : « Ce coup-ci, ça y est ! Je n’aurais jamais
cru que ce soit possible en zone libre, avant le
Débarquement. Laval a bien travaillé pour nous. La
Relève est une trouvaille de génie pour réveiller la
France et mobiliser les ouvriers contre Vichy et les
Boches. »

    Je lui transmets la demande de rendez-vous de
Bidault : « D’accord pour la semaine prochaine. Je
ne peux pas quitter mes gars. Je veux voir * Rex
d’urgence. » Sans rien lui promettre, je lui donne
rendez-vous demain matin et le quitte pour rejoindre Bidault.

    Lui aussi est sur le qui-vive : « Il faut que * Rex
revienne. Il y a des risques de désordre ; tout peut
basculer. » Quand je lui annonce le retour de * Rex ce
soir même, son visage s’éclaire  : « Dites-lui que je
l’attends pour dîner, comme d’habitude. » Je lui transmets la réponse de Morandat, reportant son rendez-vous d’une semaine : « Il se moque de moi ! Il me
rendra compte de cette insolence. » Bidault retrouveson sourire lorsqu’il me confie quelques câbles à
expédier : « À ce soir. »

    Avant d’attendre * Rex à Perrache, je rencontre
Schmidt pour lui