Alias Caracalla
son
collaborateur, récupéra quelques instants plus tard
la dame en peignoir sur le palier, gesticulant et les
injuriant.
L’appartement, enfin libre, est à louer en l’état. Le
propriétaire repart le soir même à Clermont-Ferrand.
Il demande 600 francs par mois. C’est incroyablement bon marché pour un grand appartement de
trois pièces, puisque c’est le prix de ma petite chambre rue Sala. Seul inconvénient, outre la saleté
malodorante, il est en piteux état.
Le propriétaire veut signer le bail aujourd’hui
même. Comme il attend d’autres visiteurs, il me prie
de revenir le voir en fin d’après-midi pour connaîtresa réponse. En me raccompagnant à la porte, il me
montre d’un geste las les photos éparpillées : « C’était
une entremetteuse… »
L’appartement occupe la moitié du deuxième
étage, entre cour et rue. L’absence du propriétaire
en fait un lieu idéal pour nos activités. De plus, sa
grande dimension, pour nous qui vivons dans des
meublés exigus, est inappréciable.
Je suis excité par cette découverte ; les projets se
bousculent dans ma tête. Je l’utiliserai comme lieu
à tout faire : hébergement des agents de passage,
des aviateurs alliés ou des Juifs traqués, et même, en
cas d’urgence, pour effectuer des émissions radio.
Tout le reste de la journée, je ne cesse d’y penser :
ai-je une chance d’être choisi comme locataire ?
J’arrive en avance au rendez-vous, en fin d’après-midi, tant je suis impatient : « Je vous attendais,
m’annonce le propriétaire. Tous ceux que j’ai vus
me paraissent peu dignes de confiance. Je suis sûr
qu’avec vous je n’aurai aucunennui 23 . »
Fou de joie, je suis prêt à tout : en quelques minutes, je dépose une caution en argent liquide entre
ses mains, signe le bail et règle trois mois de loyer
d’avance, en échange de quoi il me remet la clef.
Je cours chez les Moret pour leur annoncer mon
« triomphe ». Dans un fou rire, je leur décris l’état
alarmant du lieu. Suzette, qui écoute — bien que je
lui aie dit que ce n’était pas une histoire pour jeune
fille —, me propose de le remettre en état en exerçant ses talents de décoratrice.
Je calme son ardeur : il est un peu tôt pour parlerde décoration ; il s’agit avant tout de nettoyage, ou
plus exactement de désinfection. Prête à tout pour
la « cause », elle me convainc de sa qualification.
Je finis par lui confier la clef en lui recommandant d’être prudente et surtout d’oublier cette adresse
après avoir rénové l’appartement. Pendant les travaux, qui aurait soupçonné cette jeune fille élégante
et jolie de remettre en état un repaire de « carbonari » ?
Jeudi 10 décembre 1942
Les projets de * Francis
Après son évasion et son arrivée à Lyon, * Francis
a demandé de rencontrer * Rex. C’était ma première
tâche de convalescent que d’organiser leur rencontre :
facile, puisque seule Mme Bedat-Gerbaut pouvait les
accueillir.
J’ai donc fixé à * Francis rendez-vous ce matin. La
prison ne l’a pas amélioré : bien qu’amaigri, il est
toujours aussi méprisant. Il reprend à son compte,
sous un autre nom, le projet de Comité exécutif
défendu par les socialistes.
Après sa longue conversation avec lui, * Rex a
prévu de déjeuner avec André Manuel. Quand je le
rejoins au restaurant, il a son visage des mauvais
jours : les traits tirés et fumant plus que de raison.
Dès l’arrivée de Manuel, il l’interroge sur l’ordre
de mission de * Francis. Le commandant révèle
qu’il en possède deux différents : l’un politique, du
Général, qui l’a chargé de remettre ses lettres à Blum,
Jeanneney, Mandel, Reynaud, etc. ; l’autre militaire,du BCRA, qui lui demande de créer et de diriger un
réseau de renseignements.
Manuel rappelle que * Francis est un homme de
la zone nord, où il a publié, en novembre 1940, Libération , un des premiers journaux résistants,
rédigé entièrement de sa main. Malgré le titre identique à celui de d’Astier de La Vigerie et même s’ils
partagent l’idéologie socialiste, les deux hommes ne
sympathisent pas.
*Francis a été arrêté en septembre 1942. Sa mission militaire est désormais achevée, et, depuis son
évasion, il a abandonné la direction des réseaux de
renseignements à son beau-père. Il est donc libre de
toute obligation vis-à-vis de la France combattante.
Aussi a-t-il repris à
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