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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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algèbre
d’un futur scintillant, mais glacé.

    Je découvre par ailleurs une équivoque lexicale :
les ouvriers sont pour moi des « pauvres » dignes de
respect. Mon devoir est de les aider. Pour Laborde,
ils sont des « prolétaires » fiers de l’être. Grâce à
eux, l’humanité opprimée sera libérée de l’esclavage
de l’argent. La doctrine de l’Action française dit-elle
autre chose ?

    De notre passionnante conversation, je retiens aussi
deux éléments décisifs pour son engagement présent. D’une part, durant l’été 1939, il s’était rendu
en Belgique, où se tenait une exposition internationale dans laquelle il avait visité le pavillon allemand. Une gigantesque carte de l’Europe de l’Ouest
y était exposée. L’Alsace, les Flandres belges, le
nord de la France étaient hachurés de gris. Une ligne
courait depuis la Picardie jusqu’à la frontière suisse.
« C’était clair, dit-il : ils voulaient tout prendre. »Lors de la déclaration de guerre, il a eu une certitude : vaincre pour ne pas être colonisé. Laborde a
refusé la trahison de Pétain, qui a décidé sans lui
de son avenir, et il a choisi de quitter la France et
de poursuivre la guerre. Notre revanche est identique.

    D’autre part, le 20 juin, entendant un de ses camarades évoquer le projet d’un départ pour rejoindre
l’armée d’Afrique, il a retrouvé Ballère, un de ses
compagnons du garage des TPR. Son explication
me réjouit : Pétain a réussi à coaliser les patriotes
contre lui. Pas étonnant que j’éprouve de la sympathie en l’écoutant. Beaucoup d’autres voguent sans
doute vers l’Afrique du Nord ou l’Angleterre.

    Existe-t-il entre les êtres un lien plus fort que
leurs opinions ? Je me suis déjà posé la question à
l’égard d’André Marmissolle, que j’admire. Avec lui,
rien ne peut être plus fort que l’amitié. Mais avec
cet inconnu ?

    En milieu d’après-midi, le navire ralentit. Que se
passe-t-il encore ? Mes camarades se rassemblent à
bâbord. Je les rejoins pendant qu’ils regardent une
barque dériver à quelques encablures. Le cargo
s’approche lentement. Lorsque nous la surplombons, j’aperçois un homme mort, gisant nu au fond
de la barque. Son corps, gonflé comme une baudruche, exhibe un sexe raidi et noir de mazout, comme
ses membres, à l’exception du visage.

    Je n’ai jamais vu de cadavre. Cette apparition grotesque m’impose l’image des désastres d’une guerre
que je fuis. Elle illustre aussi un danger que masquent
le temps radieux et l’immensité de la mer. Un longsilence nous étreint tandis que le Léopold II , poussant les machines, reprend sa route.

    Au cours de la journée, je déambule seul sur le
pont. Une vérité, occultée par les aléas du départ,
s’impose à moi : Maurras a eu raison, hélas ! en acclamant Munich en 1938 et en s’opposant à la guerre
en août 1939. La catastrophe finale qu’il a annoncée s’est produite. Un point demeure obscur, cependant : Pourquoi Pétain, sauveur de la patrie en 1917,
acclamé par Maurras au mois d’avril pour gagner
la guerre, a-t-il changé de camp en acceptant la
défaite ?

    L’absence d’informations laisse place aux hypothèses. Instinctivement, je suis sûr qu’il a trahi. Mais
avant lui, le grand coupable n’est-il pas le Front
populaire, qui a désarmé la France ?

    Je me souviens d’une phrase de Maurras, recopiée
dans mon cahier : « Ou nous abjurerons ces fables
menteuses, démolirons ces réalités dangereuses, révélerons la vérité politique et rétablirons la monarchie
nationale, ou nous avons de sûres et tristes chances
de devoir nous dire avant peu les derniers des
Français. » Il a raison : Blum, Cot et Pétain doivent
être fusillés sans procès. Responsables de la mort
de la France, ils ne peuvent que subir un châtiment
à la mesure de leurs crimes.

    Je livre mes réflexions à Philippe Marmissolle
lorsqu’il me rejoint. Habitué à mes humeurs, il ne
se départit pas de son calme. En dépit de ma véhémence, il pense autrement : « La vengeance n’est pas
pour demain. Il faudra d’abord rentrer en France.
Attends d’être arrivé en Angleterre pour voir comment ça tourne. Tu penses trop à la politique. C’est
quand même Gamelin qui était le chef des armées.
Il a perdu en quinze jours une guerre qu’il préparedepuis dix ans. Il n’y a pas que les traîtres, il y a
aussi les vieux

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