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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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travers des
caricatures de Je suis partout et de la panique qu’elle
suscitait dans mon milieu.

    Il me fascine : d’une certaine façon, je le comprends
mieux que * Rex. Dès l’instant de notre rencontre,
nous étions de plain-pied, sans barrière ni hiérarchie.
Je ne connais pas son rôle exact au sein de Franc-Tireur, mais, si j’en juge par ses propos iconoclastes, il ne me paraît pas celui d’un chef.

    En l’écoutant, je vis la misère des hommes, l’injustice du monde, le crime de l’argent. Si curieux que
cela paraisse, je me reconnais dans ses oukases sansnuances qui imposent la lutte avant la réflexion. Je
retrouve la révolte de mes quinze ans contre un
milieu, le mien, qui s’accommode du pire parce qu’il
enprofite 14 .

    En cette fin de janvier, le froid est rigoureux, et
nous sommes seuls dans le compartiment glacé :
c’est durant l’été que les gens ont la bougeotte. Bien
que Farge ne semble pas trop en souffrir, nous tapons
des pieds de temps à autre pour ne pas geler. En
dépit de ma gabardine et de ma jeunesse, je souffre
et le félicite de son endurance.

    « Je n’ai aucun mérite, répond-il. Ma famille est très
pauvre et, durant ma jeunesse, nous n’avions pas de
quoi nous chauffer. Pour manger durant les fêtes,
j’allais à Marseille, à l’Armée du salut. Il fallait
chanter les cantiques : je les connais par cœur. »

    Il n’y a pas que l’engagement dans son existence,
mais aussi l’art, qui, pour lui, n’est pas sans lien
avec la politique. Pour moi, ce sont deux mondes
séparés : l’un appartient à la vie intime, puisqu’il est
source de plaisir ; l’autre est un devoir imposé au
citoyen. Farge évoque avec la même ferveur un peintre, Giotto, dont je n’ai aperçu que quelques reproductions en noir et blanc dans mes livres d’histoire :
« C’est le premier artiste occidental à avoir libéré la
peinture. Parce qu’il appartenait au peuple, il a su
traduire la simplicité et la noblesse des hommes
face au destin. Quand nous aurons écrasé les macaronis, nous irons tous les deux voir ses fresques à
Padoue et à Assise. »

    La simplicité de ce résistant, sa vérité chaleureuse invitent à réfléchir à la morgue des puissants,
à l’imposture des nantis, mais également à la bonté
des humbles, de ceux qui, depuis la naissance de
l’homme, sont rejetés dans les ténèbres extérieures.

    « Giotto, dit-il, est un peintre de soupe populaire
qui exprime la fraternité des hommes. Si ça vous
intéresse, je vous donnerai un livre que j’ai écrit sur
lui. Vous l’aimerez parce que vous êtes un pur. » Cette
épithète flatteuse m’est adressée pour la première
fois  : elle aurait surpris mon confesseur. Suis-je « un
pur » ? J’en doute. Mon éducation religieuse, ma
conscience malheureuse, mes confessions anxieuses,
tout me persuade du contraire. J’ai plutôt l’impression de causer, à moi seul, tout le chagrin de Dieu…

    En tout cas, le compliment me prouve que ma
sympathie est partagée. Il ne m’est pas indifférent
de sentir l’amitié chaleureuse de cet homme désintéressé, que je considère, lui effectivement, comme
un être pur.

    En dépit de l’inconfort, le voyage me semble trop
rapide.

    Une voiture nous attend à la gare. Ce n’est que la
deuxième fois, depuis le soir de mon parachutage,
que j’utilise une automobile. Ce privilège exorbitant
me donne une impression de puissance et d’invulnérabilité, tant son usage me semble incompatible
avec la clandestinité.

    Nous sortons de la ville. En face de nous, au bout
de la plaine, une muraille noire barre la droite dupaysage : « Le Vercors », nous dit notre guide. Je
comprends, en le voyant, le sens du projet d’en faire
une forteresse.

    Après avoir roulé quelques kilomètres sur une
route déserte, nous la quittons pour prendre un chemin à travers champs. Peu après, nous nous arrêtons devant une ferme isolée.

    Dans la grande salle où l’on nous fait entrer, un
chevalet affiche une carte d’état-major, tandis que
d’autres cartes sont étalées sur une table immense.
Un capitaine de chasseurs alpins, accompagné de
plusieurs civils, nous accueille. Coïncidence heureuse de rencontrer ici le représentant d’une arme à
laquelle je suis fier d’appartenir.

    Nous nous asseyons. L’officier explique son projet de transformer le Vercors en citadelle et d’y
créer des aérodromes pour accueillir les

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