Alias Caracalla
la
vassalisation de la Résistance par nos alliés. Lesbureaucrates de Londres font la loi. Ils nous conduisent au suicide. »
Me regardant d’un air condescendant, il ajoute :
« La manœuvre est claire : liquider les mouvements.
N’est-ce pas ce qu’ils veulent ? » Je connais la formule, que répètent à l’envi tous les responsables, y
compris Copeau.
Je n’en suis pas moins indigné quand je pense à
mes camarades d’Afrique et à tous ceux déjà arrêtés
ou morts au service des mouvements : notre passion
pour la France, notre solitude, la condamnation de
Vichy, les chagrins de l’exil, l’arrestation récente de
quatre radios, le suicide du capitaine * Georges…
Nous ne méritons pas ça.
Interdit de justifier les raisons de ma révolte, je
m’efforce de garder le sourire : « Pardonnez-moi,
mais je crois que vous exagérez. » D’Astier se contente
de m’annoncer qu’il me communiquera un câble
demain à expédier d’urgence.
Jean-Pierre Lévy, que je rencontre en dernier, me
propose de dîner avec lui : il souhaite le maximum
de détails. Sans doute est-ce la raison pour laquelle
je le vois toujours après les autres : sa gentillesse me
réconforte. Il n’y a pas que des brutes parmi les chefs.
Vendredi 19 mars 1943
Rien ne va plus
Je trouve ce matin dans ma boîte une demande de
rendez-vous de Copeau. Je pense qu’il va m’apporter le télégramme annoncé par d’Astier.
Lorsque je le rejoins le long des quais de la Saône,il a les traits tirés : « C’est la catastrophe ! Aubrac,
*Mechin et *Ravanel étaient bien dans l’appartement
quand tu es arrivé, la police également. Une vingtaine de personnes sont en prison, dont le frère de
*Léo [Morandat] et la secrétaire de *Mechin. Pire :
les Boches ont trouvé toutes les archives de l’AS qui
se trouvaient chez elle. Préviens tes courriers de ne
plus utiliser leur boîte et change les tiennes, qui sont
certainement brûlées. Envoie d’urgence un câble à
Londres pour avertir * Rex et * Vidal [Delestraint]. »
Y a-t-il un lien avec l’échec du parachutage sur
le maquis que je lui annonce ? « Les personnes qui
avaient organisé le parachutage ont été arrêtées, me
répond-il. Je sais maintenant l’origine du drame : le
courrier que j’ai envoyé pour avertir les équipes
de préparer l’opération s’est endormi à la gare. Il a
été arrêté après le couvre-feu. Il n’avait pas ses
papiers en règle, et ils ont trouvé les plans que nous
avions faits avec la carte Michelin. Il a parlé. L’équipe
de terrain n’a pu être prévenue. La police a également
trouvé sur lui l’adresse de la rue de l’Hôtel-de-Ville.
Tu as eu de la chance ! »
Il ajoute : « * Bernard [d’Astier] m’a montré ton
télégramme. Comment Londres ose-t-il nous demander de décourager les réfractaires ? Les vrais ennemis de la Résistance, ce ne sont pas les Boches, c’est
vous ! »
En guise de réponse, je me contente de rire.
« Tu as tort de rire. On réglera nos comptes après
la Libération. Tu as intérêt à changer de camp. » En
dépit de mon admiration pour la culture et l’intelligence de Copeau, quand il évoque la Résistance, il
n’est pas sérieux. Ma sympathie pour le personnage
dédramatise ses menaces.
Rentré chez moi, j’adresse un télégramme à * Rexpour l’informer sur-le-champ du désastre. Bien que
je ne prenne pas les menaces de Copeau au sérieux,
je termine mes quatre câbles et expédie une mise en
garde dont je suis conscient qu’elle excède mes
fonctions : l’impuissance des Alliés à s’opposer par
la force à la déportation contribue à « faire baisser
proportion considérable je dis considérable sentiments gaullistes ». J’ajoute : « Population plus que
jamais résistante mais déçue par inaction alliée après
espoir promesse annoncée depuis deux ans par
BBC. »
C’est la première fois que j’exprime aussi directement à * Rex mes critiques. Sans doute est-ce la raison, pour la première fois également, que je crois
bon de lui exprimer mes sentiments : « Respects. »
Samedi 20 mars 1943
Le retour du patron
Un billet de Fassin m’avertit que je dois attendre
*Rex après le déjeuner à la sortie de la gare des
Brotteaux. Je suis surpris parce que * Rex n’a jamais
utilisé cette gare pour arriver à Lyon.
Son retour, après plus d’un mois d’absence, me
procure un sentiment mitigé.
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