Alias Caracalla
c’est la preuve que j’ai l’air
suspect, détail qui suffit parfois à provoquer des
arrestations.
À midi, la rue de l’Hôtel-de-Ville est déserte. J’entre
au numéro 7. Je monte rapidement l’escalier, presséde me débarrasser de ma livraison. Essoufflé, les
yeux baissés, je monte plus lentement les dernières
marches lorsque, du cinquième étage, j’entends un
bruit léger, produit par un objet qui s’agite au-dessus
de moi. Levant les yeux, j’aperçois les mèches d’un
balai O’Cédar sortant d’une petite fenêtre. Derrière
les franges tourbillonnantes, je distingue deux yeux
immenses, agrandis par l’épouvante. En un éclair,
je flaire un piège.
Je fais demi-tour et, sur la pointe des pieds,
m’agrippant à la rampe, redescends à toutes jambes. Au rez-de-chaussée, je découvre par la porte
d’entrée ouverte une traction avant noire stationnée
le long du trottoir opposé, heureusement vide. Je
suis pourtant certain de n’avoir rien vu quelques
instants auparavant. Étais-je distrait ?
J’accélère le pas vers la sortie, prêt à me jeter dans
la rue en courant, regrettant de ne pas avoir mon
revolver. Sur le trottoir, personne, comme à mon
arrivée ; la rue semble vide de tout danger.
Je longe rapidement les immeubles mitoyens de
la rue de l’Hôtel-de-Ville et m’engouffre dans la rue
de l’Arbre-Sec, qui donne dans celle de la République,
une grande artère très animée. Il est midi passé. Les
employés de bureau rejoignent cafés et restaurants
alentour.
Commençant à respirer, je me fonds dans la foule.
À peine ai-je fait cent mètres que je vois arriver
Yves Farge et Georges Altman, qui se rendent au
rendez-vous d’où je viens. En m’apercevant, Farge
s’avance vers moi et me serre la main : « Comme
vous êtes pâle ! »
Dans un souffle, je réponds : « Accompagnez-moi
naturellement. » Sans demander d’explication, ils font
demi-tour et me suivent derrière le bâtiment de lachambre de commerce, où nous empruntons, au
hasard, un lacis de petites rues. J’ai hâte de vérifier
notre sécurité.
Après avoir enchaîné deux rues transversales, nous
retournons brusquement sur nos pas : personne. Je
retrouve mon souffle pour leur raconter mon aventure.
« Nous devons retourner rue de la République,
décide Farge. Nous nous posterons à l’entrée des
différentes rues qui conduisent rue de l’Hôtel-de-Ville afin d’empêcher les camarades de se fairepiéger 15 . »
Nous attendons longtemps, mais personne ne vient.
Farge nous entraîne vers la place des Terreaux, où
il doit déjeuner avec Copeau. Ce dernier ne sait rien
de plus que moi : il a rebroussé chemin après avoir
aperçu la Citroën. Lui aussi a essayé d’avertir nos
camarades du danger, mais aucun n’est venu. Finalement, il estime qu’ils devaient être trois dans
l’appartement : Aubrac, * Mechin et * Ravanel 16 .
Une question le hante : qui a livré son adresse,
connue des seuls participants à la réunion du 12,
tous cadres des mouvements ? L’un d’eux a-t-il été
arrêté ? A-t-il parlé ? Nous décidons de redoubler
de prudence les jours suivants et de nous rencontrer
quotidiennement pour échanger nos informations.
Mardi 16 mars 1943
Instructions de * Rex
Cheveigné m’apporte deux télégrammes du patron.
Craignant le pire, je déchiffre le premier aussi rapidement que possible : il est d’accord sur tout, y
compris « pour suppléments demandés fonds seulement consacrés à lutte contre relève ».
Seule ombre au tableau, il me demande de rappeler aux radios que « leurs émissions ne doivent pas,
je dis pas, excéder une demi-heure ». Bien qu’il signe
« Amitiés », je suis hors de moi.
Je remets à Montaut pour expédition immédiate un billet de Paris que j’ai reçu hier, rédigé par
un inconnu : * Morlaix 17 , l’adjoint de * Frédéric. Il
m’informe que * Dufour, également inconnu de moi,
a été arrêté en même temps que * Frédéric, mais
ajoute : « Espérons pouvoir faire évader * Frédéric si
affaire reste mains police française. »
En fin de journée, * Germain me remet les télégrammes que Cheveigné lui a fait porter : * Rex me
prescrit de demander à tous les mouvements d’apporter leur assistance aux patriotes de Savoie en leur
fournissant des cadres.
La suite est moins euphorisante :
Secundo. Donner consignes à population appelée à garder voie et points
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