Alias Caracalla

issue d’une élection : aux Nations unies,
la France est absente tandis que le Guatemala y
possède un siège. »

    Quant au Conseil de la Résistance, * Rex explique
que le Général a accepté le projet. Giraud s’accroche
au pouvoir, soutenu par les cadres administratifs,
l’armée d’armistice et les Américains. Le véritable
obstacle est Roosevelt, dont l’emprise sur Churchill
est absolue à cause du financement que peuvent lui
apporter l’industrie et l’armée américaines.

    Durant le dîner, je remarque que * Rex ne souffle
mot des doutes du Général qu’il m’a confiés. J’en
éprouve une certaine fierté.

    Bidault enregistre toutes ces informations inédites, tout en demeurant dubitatif, surtout à l’égard
du Conseil de la Résistance : « Vous aurez du mal à
convaincre les chefs. Depuis votre départ, ils sont
remontés contre vous et le Général. * Charvet [Frenay]
regrette d’avoir accepté de se soumettre aux institutions de la France combattante. Lui et * Bernard
[d’Astier] ont compris, heureusement un peu tard,
le parti qu’ils auraient pu tirer de la passe difficile traversée par le Général et de l’importance de la légitimité représentée par les mouvements auprès des
Alliés. Ils auraient pu monnayer leur soutien à
meilleur prix. Aujourd’hui, ils sont conscients de
leur erreur.

    — Il faudra pourtant qu’ils se soumettent. J’ai des
instructions précises, et je suis bien décidé à les
leur imposer. J’ai été nommé président du Conseil
de la Résistance afin d’intégrer les résistances dans
les institutions de la France combattante. Je n’y manquerai pas. »

    Avant de nous séparer, * Rex explique les raisons
de son installation à Paris, puis, regardant Bidault :
« Bien entendu, je compte sur vous là-bas.

    — Ça tombe bien, je suis en passe d’être destitué
de mes fonctions au lycée du Parc. »

    J’ai hâte de rentrer chez moi pour achever le travail de la journée. La surcharge des dernières
semaines impose à mes collaborateurs des nuits de
plus en plus courtes. Pour Cheveigné, depuis des
mois, Montaut, depuis peu, elles sont entrecoupées
de longues émissions radio exigeant une tension
nerveuse à la limite du supportable.

    Je raccompagne * Rex, qui, songeur, garde le silence.
« La difficulté des missions en France, me dit-il après
un moment, est de se faire entendre par les hommes
de la France combattante. Ils ne comprennent rien à
la situation sur le terrain, parce que les services de
Londres n’en ont aucune expérience. Leurs raresagents qui se débattent ici avec les problèmes quotidiens oublient tout dès leur arrivée en Angleterre.
Vus de Londres, les événements de France deviennent incompréhensibles : ainsi vos derniers télégrammes m’ont-ils paru insensés. » Il ajoute : « Après
cette soirée, j’ai compris que vous traduisiez fidèlement ce que vivaient les résistants. »

    Instant inoubliable dans cette nuit apaisée : le
patron, que j’admire, reconnaît naturellement une
erreur de jugement. Je constate à quel point je suis
marqué par ma formation catholique, qui exige l’aveu
des fautes.

    Je consacre une partie de la nuit à décoder les
nouvelles instructions.

    Quel incroyable changement par rapport à celles
que m’avait confiées * Frédéric ! Lorsque je les avais
déchiffrées, à l’époque, le comité imaginé à Londres
m’avait paru inutilement compliqué en comparaison
du projet de * Rex. Celles-ci sont la mise en forme
institutionnelle de son schéma et commencent par
annuler « les instructions précédentes » et notamment celles datées de février 1943.

    Le projet d’un « regroupement des forces de combat en vue de l’action et simultanément d’un élargissement des assises morales et politiques de la
Résistance française groupées autour du général de
Gaulle » est parfaitement défini.

    L’article premier concerne la désignation de * Rex
comme seul représentant du général de Gaulle et
du Comité national français pour l’ensemble du
territoire métropolitain. Cette promotion me paraîtnaturelle : elle définit le champ d’action de * Rex
depuis sa première désignation, il y a plus d’un an.

    Le paragraphe 3 me semble difficilement compréhensible, parce que dangereux : pourquoi avoir
désigné * Passy, * Brumaire et * Rex pour « mener à
bien l’établissement du Conseil de la Résistance […]
(dans la mesure où ils