Alias Caracalla
syndicats, partis, services, radios. Puis j’énumère les
principaux responsables avec lesquels je suis en
contact pour organiser les rendez-vous du patron,
préparer les réunions, la distribution d’argent, etc.
Je lui explique mon travail quotidien auprès de
*Rex à partir de 7 heures du matin jusque tard après
le dîner. Je détaille le fonctionnement des boîtes, les
lieux de rendez-vous et d’émission, etc., et lui signale
l’inconvénient des convocations impromptues qu’il
impose pour l’accompagner à des réunions exigeant
des papiers compromettants.
Je donne l’ordre à * Mado d’envoyer des rendez-vous à tous les responsables afin que je leur présente * Grammont avant mon départ et décide d’y
consacrer la journée du 23.
C’est un plaisir que de travailler avec ce garçon à
l’intelligence rapide. Cela augure bien de notre collaboration future.
Lundi 22 mars 1943
Derniers préparatifs
Après avoir couru toute la matinée de rendez-vous
en rendez-vous, je retrouve aujourd’hui pour déjeuner Pierre Kaan, que je n’ai pas revu depuis plusieurssemaines. J’ai pris goût à nos conversations, qui,
depuis le premier jour, ont une liberté de ton qui
facilite les confidences. J’ai été immédiatement
conquis par son humour, son intelligence, sa culture.
Il me donne l’impression que j’existe autrement
qu’en tant que secrétaire de * Rex.
Aujourd’hui, il me confie un rapport sur son séjour
à Paris et me demande de le remettre à * Rex. Il
ajoute quelques commentaires, qu’il me prie de lui
transmettre également, et me demande de lui fixer
un rendez-vous. Je l’assure que le patron le rencontrera avant son départ.
Il me dit ne se faire guère d’illusions sur le sort
des rapports : jamais lus par leur destinataire et,
dans le meilleur des cas, diffusés par bribes. Je lui
objecte que ce n’est pas le style de * Rex, qui examine
tous les papiers, même ceux dont je lui lis des
extraits ou qu’effectivement je résume.
Son séjour en zone nord n’a pas amélioré son
opinion sur la résistance des chefs. Selon lui, les
mouvements y sont encore embryonnaires et morcelés en noyaux autonomes. En raison des rivalités
et des ambitions des chefs, ils ne se combattent pas,
comme en zone sud : ils s’ignorent.
Dans son rapport, il fait le constat qu’à côté des
mouvements squelettiques, réduits à des cadres,
existent d’innombrables individualités isolées, sans
contact avec les mouvements, mais capables de rendre les plus grands services. Il souhaite que * Rex
encourage la formation d’un mouvement directement
relié à la France libre et consacré à l’action immédiate.
Encore plus intéressante pour moi, au beau milieu
de la bataille du Conseil de la Résistance, est la
sévérité de Kaan à l’égard de l’activité des ancienspartis sous leur forme traditionnelle. Aucune révision des doctrines n’a été entreprise.
Même les partis de gauche ont l’intention de se
regrouper sur un programme commun, nostalgique
du Front populaire. Quant au parti communiste, il
s’efforce de se substituer à la France libre : « Le
but avoué du Front national est de grouper toute la
résistance gaulliste autour du PC. »
Kaan met en garde * Rex contre le chantage exercé
par les communistes et leurs exploits militaires, dont
il doute : « Pour assurer leur prestige et leur influence,
les communistes se livrent à une réclame d’autant
plus facile que leurs affirmations sont incontrôlables.
Ils mettent à leur actif d’emblée tout ce qui est
attentats, sabotages, résistance armée, et ils exploitent sans scrupule la répression comme s’ils étaient
seuls à la subir. Ils finissent par créer ainsi un dogme
de la supériorité, une légende de l’efficacité et de la
valeur du seul mouvement communiste, que l’on
accepte sans contrôle, sans preuve. En fait, sur ce
point, nous n’avons vu aucun signe de cette légendaire toute-puissance du PC. »
Il rejoint là l’analyse de * Rex. Il estime tout comme
Bidault et d’autres responsables de la zone libre que
les exploits de l’Armée rouge entraînent une influence
grandissante du parti communiste, mais pas une
pénétration profonde des conceptions communistes
en France.
Quant à l’opinion publique, telle qu’il l’a observée
à Paris, elle est « unie par une haine vivace de
l’oppression boche ». J’admire la clarté de ses vues.
On est loin de *
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