Alias Caracalla
ce bouleversement complet
de ma vie, succédant à son cadeau tellement inattendu, que je ne parviens pas à me concentrer.
En quelques mois, j’ai réussi à organiser un secrétariat qui fonctionne tant bien que mal et un réseau
de transmission mené de main de maître par
Cheveigné. Je vais devoir recommencer de zéro à
Paris, où je ne connais personne. J’ai quatre jours
pour déménager et pour tout faire fonctionner.
J’essaie de me figurer comment, en si peu de
temps, je vais pouvoir communiquer mes contacts à
*Grammont et le mettre au fait des affaires en cours,
tout en continuant à accompagner * Rex aux réunions…
Je décide finalement d’initier * Grammont sans
délai en lui demandant de me remplacer dès demain
auprès de * Rex pour quelques réunions. Je récupérerai ainsi un temps précieux pour préparer le
départ de mon équipe.
*Rex ne me laisse pas le temps d’épiloguer. Il veut
connaître ses rendez-vous, plus nombreux encore
qu’à l’habitude : après plus d’un mois, tout le monde
veut le voir, à commencer par les officiers de liaison,
Fassin et Schmidt, les représentants des partis, les
responsables des services, Bastid, * Villiers, Farge, et
d’abord, évidemment, les chefs des mouvements.
« Organisez des rencontres individuelles avec
eux », m’ordonne * Rex.
Je lui explique que Frenay a prévu un comité
directeur le 23, dans trois jours. Afin de préparer laséance, j’ai pris rendez-vous avec * Bernex 21 , secrétaire du nouveau comité. « Qui est-ce ? » me demande
*Rex, méfiant. Je lui explique qu’il a remplacé
*Lebailly au secrétariat du Comité directeur des
MUR.
« Êtes-vous sûr de lui ?
— C’est * Lebailly qui me l’a présenté. C’est un
homme de Combat. Vous jugerez par vous-même :
nous avons rendez-vous avec lui au parc de la
Tête-d’Or demain matin, à 9 heures. C’est avec lui
que vous préparerez l’ordre du jour de la réunion. »
Une nouvelle fois, je suis surpris par le ton assuré
de ma réponse concernant le service. Après mon
acte de foi sur la question des réfractaires, je manifeste bien involontairement une attitude nouvelle à
son égard. Elle résulte de mon indépendance durant
un mois : j’ai changé.
Ses rendez-vous de demain après-midi ne nécessitent aucun papier compromettant. Je lui propose
qu’il se fasse accompagner par * Grammont : j’aurai
ainsi ma journée de libre afin de préparer le déménagement à Paris. Il acquiesce.
Quand je le quitte, emportant les papiers compromettants pour les déposer chez moi, il me rappelle :
« À 7 heures et demie au Coq au vin . »
J’arrive le premier au restaurant, proche de chez
moi, suivi de peu par Bidault, qui apporte ses bulletins et un rapport sur le déroulement des événements
en Savoie. Il m’en donne quelques détails quand
*Rex entre. Ils ne se sont pas vus depuis un mois.
Bidault se lève et lui serre longuement la main,
le visage épanoui. Au premier étage, le soir, le restaurant est désert. Nous commandons rapidement
le dîner.
*Rex interroge Bidault sur le STO et l’évolution de
la situation des réfractaires depuis son départ, mais
surtout sur le comportement des chefs des mouvements. Peut-être souhaite-t-il vérifier l’exactitude
de mes télégrammes et de mon compte rendu de
l’après-midi.
En termes mieux choisis, Bidault décrit la tension
qui règne parmi les résistants depuis son départ, en
particulier au sein des états-majors. Il explique que,
pour la première fois, les mouvements possèdent,
grâce au STO, des troupes jeunes obligées à l’illégalité et au combat afin d’éviter de partir en Allemagne.
Selon lui, c’est la fin de la « drôle de résistance »,
des palabres et des plans chimériques. La revanche
commence sur le sol de France.
En l’écoutant, je retrouve l’ambiance que j’aime
des dîners en leur compagnie, au cours desquels j’ai
tant appris sur la politique, le pouvoir, la vie.
Bidault croit lui aussi à une insurrection violente,
mais localisée dans les montagnes où se retranchent les réfractaires. La Savoie en semble le fer de
lance. Il raconte que Frenay et d’Astier l’ont rabroué
quand il leur a fait remarquer qu’il s’agissait d’une
mutation de la Résistance. Ils ne semblent pas comprendre — ou ne veulent pas admettre — que les
réfractaires ne sont pas des résistants, c’est-à-dire
des patriotes, antiallemands ou
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